Alors que la planète s’islamise dangereusement et que des zones entières sont gangrénées par le terrorisme (singulièrement la France), Vladimir Poutine adopte un discours original. Lors de la journée de l’unité nationale, il a échangé avec les quatre grandes religions et appelé au calme et au respect . Analyse
Le 4 novembre dernier, lors de la journée de l’unité nationale, Vladimir Poutine, la Bible, le Coran, la Torah et le Kangyour posés sur son bureau, s’est entretenu, comme chaque année avec les représentants des quatre grandes religions reconnues comme traditionnelles que compte la Russie (orthodoxie, Islam, judaïsme et bouddhisme). Cette année, l’entretien avec lieu en visioconférence.
Antagonismes religieux
À un moment où l’Europe, en proie au terrorisme islamique et à la montée des communautarismes, est à nouveau endeuillée par de récents attentats, et que la France plus particulièrement est sous le feu des projecteurs, le président russe a souligné l’importance du dialogue interreligieux en rappelant que “les conflits religieux peuvent couver sous la cendre pendant des années, des dizaines d’années”, engendrant ainsi des antagonismes dont la complexité et la violence ne peuvent qu’aller croissants.
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C’est placer le religieux, dès lors qu’il a à voir avec l’ordre public, “sous la vigilance constante de tous les organes du pouvoir, de la société civile et des médias” et implicitement appeler à sortir d’une supposée neutralité bienveillante qui reléguerait toutes les questions religieuses à la seule sphère privée, au risque de renforcer le communautarisme.
Poutine pas Charlie
“Surtout que, d’après ce que l’on voit, dans un certain nombre de pays, la situation est complexe, a ajouté Poutine. Nous voyons également à quoi mènent des actes commis par des provocateurs de toutes sortes qui se servent du droit à la liberté d’expression pour offenser les sentiments religieux, qui l’utilisent comme prétexte pour justifier la violence et l’intolérance”.
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Difficile de ne pas y lire, compte tenu du contexte, une référence aux caricatures de Mahomet et des controverses qu’elles suscitent non seulement en France mais plus largement au niveau international: appels au boycott des produits français par les pays musulmans, menaces terroristes, soutien très prudent voire inexistant de la part des pays occidentaux qui, prudemment, rompent avec un libéralisme affiché – Justin Trudeau le caméléon de l’identité en tête – pour, timidement, indiquer qu’il ne faudrait peut-être pas que la France pousse trop loin le bouchon de la liberté d’expression…
Chez Poutine, on ne peut pas “blasphémer”
On tourne autour du pot, on se prend les pieds dans le tapis de la laïcité et on en finit par lâcher le mot : blasphème.
C’est un concept qui ne devrait appartenir qu’au domaine des religions, seules habilitées à en définir les contours pour leur propre obédience, mais qui est donc évoqué sans complexe en Russie, Etat pourtant laïc. La Russie a adopté en 2017 une loi sanctionnant toutes personnes « menant une action publique qui témoigne d’un évident manque de respect envers la société dans le but d’offenser les sentiments religieux des croyants ». Prise à la suite des manifestations des Pussy Riots dans l’église du Christ Sauveur, cette règle s’applique à des actes intentionnels et répond à des profanations à la mesure de la grandeur du pays : imposantes quant à leur effet spectaculaire et leur volonté d’outrager, loin de quelques dessins dans un journal satirique (il en faut un peu plus aux Russes, toutes confessions confondues, pour être choqués).
Toutefois cette position, dans un Etat qui se revendique non confessionnel, semble incompréhensible sous nos cieux. L’incompréhension est partagée: de l’autre côté de l’Oural, on a peine à y comprendre comment les Français, quels que soient leurs origines ou leurs croyances, en soient venus à voir dans un magazine aux caricatures grossières – et assumé comme telles – une bible de la liberté d’expression et une ligne de partage entre les terroristes et les citoyens qui les condamnent.
Moscou se voit comme une troisième Rome
En Russie, l’identité nationale est presque consubstantielle à la religion, du moins à la spiritualité. Cet attachement a été l’un des facteurs de résistance des Russes face au joug du système soviétique. Une politique antireligieuse virulente – qui peut expliquer l’actuelle prudence russe sur la question de la laïcité – n’a pu anéantir l’esprit de la vieille et sainte Russie. Après l’effondrement de l’URSS, elle a su retrouver une âme comme préservée d’un certain progressisme par la « mise sous cloche » bolchevique. Cet attachement aux racines témoigne – outre peut-être d’une singularité propre à chaque pays – de la continuité d’un enseignement classique de la littérature et de l’histoire jamais abandonné par le régime soviétique – fût-ce à des fins de propagande – mais aussi d’une volonté politique de faire de la Russie un exemple pour l’Europe dans un Occident qui perd peu à peu ses repères et sa culture. Vladimir Poutine avait mis en avant son rôle de défenseur des valeurs chrétiennes lors de la conférence de Valdaï en 2013, fustigeant en pleine crise du Moyen-Orient les pays européens éloignés de leurs racines, appelant la Russie à renouer plus que jamais avec son histoire et sa spiritualité, donnant l’exemple en portant son aide aux chrétiens d’Orient. Un discours en cohérence avec la tradition de l’empire des tsars qui voit en Moscou une troisième Rome, héritière de l’empire byzantin et refuge de la civilisation gréco-latine.
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Attaché à l’orthodoxie, le pays a cependant une solide expérience en ce qui concerne la coexistence religieuse et le monde musulman. Depuis les Tatars du moyen-âge (à présent intégrés à la fédération de Russie) jusqu’aux volontés expansionnistes de l’empire ottoman, le pouvoir russe a appris à composer pour garantir la paix sociale sans perdre son âme. Les tsars, et surtout la tsarine Catherine II, ont respecté – principalement dans un but tactique – les minorités religieuses en les assimilant dans l’empire.
Poutine s’inscrit dans cette continuité et rappelle que « la paix entre les confessions et les ethnies est la clé de voûte de l’union nationale », proposant un équilibre qui permet à la fois de garantir la liberté religieuse tout en tenant compte de l’importance démographique de chaque religion, sans compromettre l’identité culturelle de la Russie. Dans le plus grand pays du monde, pont entre l’Europe et l’Asie, l’Islam (15% de la population) est la seconde religion après l’orthodoxie (80%) et concentre principalement ses fidèles dans les régions de la Volga et du Caucase du Nord, où l’on compte les Tchétchènes dont les volontés intégristes et indépendantistes ont récemment montré que la guerre contre le terrorisme n’était pas qu’une formule rhétorique dans la bouche de Vladimir Poutine.
Ce pacte entre les confessions et l’État a été accepté et encouragé par les dirigeants religieux qui ont vu ainsi confirmé leur rôle de directeurs spirituels au service du bien commun. Le patriarche de Moscou y occupe une place de taille et les autorités musulmanes de la fédération de Russie y ont adhéré d’autant plus aisément que la plupart de leurs fidèles, en dépit de leur diversité, sont implantés séculairement sur le territoire de la fédération et qu’ils communiquent, y compris dans les mosquées et en plus de l’arabe littéraire, en Russe, n’hésitant pas à afficher leur patriotisme.
L’expérience multiethnique russe peut surprendre tant on est peu habitué à considérer ce pays sous cet angle, y voyant encore « le bloc de l’Est ». Pourtant, Vladimir Poutine est prompt à le proposer comme modèle de réflexion pour notre vieille Europe de l’Ouest, qui n’en demande certainement pas tant.
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