Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Luc Rosenzweig et Pascal Riché débattent du quotient familial.
Tous ceux qui ont quelque peu vécu dans un pays étranger comparable au nôtre savent que la fiscalité directe française, qui taxe les foyers fiscaux et non les revenus individuels relève de la même catégorie que la baguette et le béret basque, une bizarrerie regardée avec étonnement et perplexité par nos voisins. Le système du quotient familial, où le revenu imposable est modulé en fonction de la composition de la famille (une part pour chacun des parents, une demi-part pour les deux premiers enfants, et une part à partir du troisième) semble avantager les classes supérieures. En effet, plus les revenus du foyer fiscal sont élevés, plus grand est le montant total des exemptions d’impôts consenties à ces familles.
Quelques économistes futés gravitant autour du PS avaient cru pouvoir donner à la campagne de François Hollande la touche populaire qui lui fait cruellement défaut en s’attaquant bille en tête à cette bastille fiscale que serait le quotient familial (car malgré les flopées de cafouillages socialistes de mardi sur la « modulation » ou la « réorganisation », c’est bien à ça qu’on est rendu). C’est ainsi qu’on a vu traîner dans la boite à idées du candidat socialiste l’idée de remplacer ce quotient familial par un crédit d’impôt uniforme (environ 600€ par enfant à charge). Les foyers non imposables (50% des ménages français) se verraient remettre chaque année un chèque correspondant à la taille de la famille.
Le quotidien économique Les Echos a procédé au calcul des effets de cette mesure : elle frapperait les foyers fiscaux dont les revenus dépasseraient le triple du SMIC, c’est à dire 4200€ net mensuels. 4,5 millions de foyers aisés (si on peut estimer qu’une famille avec deux enfants et 4200€ mensuels à Paris est un « foyer aisé » !) se verraient davantage taxés pour aider 5 millions de foyers pauvres. En voilà de la redistribution qu’elle est juste !
Sauf que la justice, c’est plus compliqué qu’on le croit dans les cuisines de gauche où se mijote la sauce fiscale à laquelle nous allons être mangés si Hollande l’emporte en mai 2012.
Un peu d’histoire d’abord : le quotient fiscal n’est pas une mesure imposée par la droite pour inciter les bourgeois à pondre de nombreux petits bourgeois, mais un héritage de 1945 : il a été établi dans le sillage du programme du Conseil National de la Résistance, dont les hesseliens nous rebattent les oreilles ces derniers temps.
Il a été conçu explicitement comme une mesure nataliste, ce en quoi il a parfaitement réussi en permettant la venue en ce bas monde d’une palanquée de baby-boomers. Il a contribué, par la suite à ce que notre taux de natalité se maintienne à un niveau honorable, alors qu’il s’effondrait chez nos voisins allemands, italiens et espagnols.
Il ne constitue pas une mesure de redistribution du haut vers le bas de l’échelle sociale, mais une mesure d’équité à l’intérieur des catégories sociales : son but est, qu’à revenu égal, une famille avec des enfants soit moins taxée qu’un célibataire ou qu’un couple de « dinks » (double income, no kids). C’est dans le même esprit que les allocations familiales n’ont pas été modulées en fonction des revenus du foyer (ce qui est, je le reconnais, plus contestable).
Alors, considérée en « masse », ce système paraît d’une injustice criante, même s’il est plafonné à partir de 4602€ de revenu imposable par part fiscale (cela touche 2% des foyers français). C’est oublier que la redistribution vers les familles pauvres, en France, passe par d’autres voies que la fiscalité directe : aide personnalisée au logement, tarifs modulés en fonction des revenus pour les crèches, cantines et les centres de loisirs, bourses d’études, allocation de rentrée scolaire etc. Le foyer de jeunes cadres triple smicard évoqué plus haut paie plein pot tous ces services, permettant aux moins favorisés d’y avoir accès pour des cacahuètes.
Alors, chers amis socialistes, si vous voulez vraiment perdre les élections de 2012, ne changez rien, sabrez le quotient familial ! Les classes populaires ne vous en tiendront aucun gré, car elles sont ingrates par nature et parce qu’une bonne partie des familles de cette catégorie échappaient à l’impôt sur le revenu grâce, justement, au quotient familial. Les classes moyennes, elles, iront voir ailleurs si vous y êtes.
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