Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a présenté hier 60 mesures pour réformer la justice. Budget, places de prison, procédures: le plan est globalement bien accueilli. L’analyse de Philippe Bilger.
D’abord résister. Résister au fait que le seul bon plaisir présidentiel a nommé Eric Dupond-Moretti comme garde des Sceaux puis l’a reconduit contre toute attente. Résister à l’impression que ces Etats généraux de la Justice tronqués n’ont pas été « un exercice démocratique inédit » mais avoir cependant l’honnêteté de saluer tout ce que depuis des années, dans des livres ou oralement, je réclamais comme une mesure prioritaire. Résister au préjugé défavorable à l’égard d’un ministre dont la situation procédurale tristement singulière n’inspire pas confiance en appréhendant toutefois avec mesure et sans acrimonie son « plan d’action » pour la Justice.
Plan tardif
Si on peut regretter qu’il ne prévoie pas un bouleversement qui serait utile dans notre conception de l’Etat de droit et pour inventer une justice pénale adaptée à tout ce qu’une modernité dévoyée et une malfaisance amplifiée secrètent chaque jour – tout particulièrement, distinguer ce qui est immédiatement incontestable de ce qui incertain -, il faut reconnaître que ce plan si tardif contient des éléments très positifs. Si évidemment la loi d’orientation programmée pour le printemps ne se contente pas de prescrire sans rien réaliser.
Je ne ferais pas le reproche au garde des Sceaux de n’avoir pas retenu, dans les préconisations des Etats généraux, la suppression de la Cour de justice de la République puisqu’il est directement concerné par celle-ci.
Quand Eric Dupond-Moretti souligne son « enthousiasme » et sa « détermination », nous n’avons aucune raison de douter de ses dispositions. Pas davantage que de sa volonté de « tout mettre en œuvre pour que la Justice soit plus rapide, plus efficace, plus protectrice et plus proche de nos concitoyens ». Nous sommes d’autant moins enclins au scepticisme que ce n’est pas rien, pour ce ministre, de contredire, sur certains points essentiels, tout ce en quoi avait cru l’avocat dans une existence antérieure.
Résumer son plan par « des juges en plus… et des alternatives aux juges » ou par « pour sauver la justice, 11 milliards et un ministre trop amiable » est spirituel et caustique mais en partie injuste (Mediapart). L’augmentation du budget est indéniable, de 7,6 milliards en 2020 jusqu’à 11 milliards espérés en 2027, même si cet accroissement de 8% pour les pays européens comparables à la France a été la règle.
En matière civile, le ministre aspire à « une véritable politique de l’amiable ». Dans ce domaine, même si on peut craindre que les effets de désengorgement ne soient pas ceux attendus, une stratégie du compromis et de la négociation n’est pas absurde. J’espère toutefois que « les idées ne sont pas les succédanés des chagrins » selon la pensée si lucide de Marcel Proust et qu’on ne nous propose pas « l’amiable » faute d’avoir su répondre au défi du judiciaire.
La réécriture et l’allègement du Code de procédure pénale en deux ans par ordonnance seraient bienvenus. Restons optimistes !
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Je ne suis pas, sur un autre plan, hostile, bien au contraire, à la fusion de l’enquête préliminaire et de l’enquête de flagrance et qu’on offre à la première, notamment sur le plan des perquisitions, les critères procéduraux réservés à la seconde. Tout ce qui est de nature à autoriser la normalité à devenir plus efficace et plus contraignante a mon agrément et ce n’est pas l’ire des avocats qui va me faire changer d’avis.
Le ministre prend le risque d’un vœu pieux quand il prétend à la réduction des délais d’audiencement à un an pour les dossiers « les plus lourds » devant les tribunaux correctionnels et à six mois pour les autres. Le volontarisme a ceci de bon qu’il fait du bien à la fois à celui qui l’exprime et à ceux qui l’entendent.
Il s’égare aussi, mu par un humanisme qui s’imagine que toutes les infractions se valent, quand il compte sur le développement du travail d’intérêt général et de la libération sous contrainte pour faire diminuer le recours à l’incarcération. On ne sanctionne pas les délits graves et les crimes par des apparences de sanction et des mesures qui sont des douceurs à peine amères.
La déflation carcérale enfin combattue?
Comment ne pas approuver en revanche l’orientation pénitentiaire de ce projet d’abord par le désir d’accroître le travail en prison puis par l’engagement de construire 15000 places supplémentaires jusqu’en 2027 ? Non pas que je sois naïf puisque les promesses présidentielles initiales en 2017 n’ont pas été tenues mais si ce rattrapage est effectif – il devrait être plus conséquent -, ce sera une amélioration. Il convient de se féliciter que précisément on privilégie « l’inflation immobilière plutôt que la déflation carcérale ». Il n’y a que les industriels et les compulsifs de la mansuétude par principe pour ne pas comprendre que le problème de la surpopulation est uniquement lié au fait qu’il n’y a pas assez de places de prison.
Après cette analyse sans doute trop rapide de ce « plan d’action », je constate qu’il n’a pas traité le problème crucial de l’univers pénal : celui de l’exécution des peines. Je déplore par ailleurs qu’il n’ait pas fait réapparaître, mais autrement, le dispositif des peines planchers dont le besoin aujourd’hui est criant. Je relève aussi que le garde des Sceaux n’en a pas profité pour revenir avec courage et intelligence sur le drame démocratique de la généralisation des cours criminelles départementales.
J’entends bien qu’on ne pouvait pas tout mettre dans ce projet et que sa soixantaine de mesures est loin d’être négligeable.
Si ce n’est pas seulement « une réforme plutôt gestionnaire » selon l’appréciation du Syndicat de la magistrature, Eric Dupond-Moretti est emporté par sa fougue quand il nous vante son plan « contre l’abandon politique, budgétaire et humain qui a duré 30 ans ». Une telle hyperbole n’a pas de sens. Ni grandiose ni indigne, ce plan d’action. Mais pourquoi si tard, monsieur le ministre ?
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