Si elle n’avait pas été aussi exigeante vis-à-vis d’elle-même, Louise Brooks nous aurait laissé, comme Goethe, un volume sur l’histoire de sa vie. Elle l’aurait intitulé: Mémoires d’une petite conne et nous nous serions régalé en le lisant, tout comme nous jubilions en savourant l’autobiographie de George Sanders, Mémoires d’une fripouille. Mais Louise Brooks n’était pas comme tout le monde : elle écrivit quatre cents pages qui finirent dans l’incinérateur. Elle intitula ce premier manuscrit : « Incinérateur 1 ». D’autres suivirent qui connurent le même sort. Elle se demanda si elle n’était pas plus douée pour la masturbation, « cette forme suprême de l’art ». Elle avait l’impression d’avoir écrit sur un étranger du Tibet. Cette impression d’étrangeté aux autres et à elle-même ne la quitta jamais. Elle revenait toujours sur cette même question, cette mélodie obsédante : « Qu’est-ce qui fait de nous des êtres faux, amers et jaloux ? »
Rêver de mourir poignardée
Henri Langlois avait dit d’elle qu’on ne pourrait jamais l’oublier : « Elle est l’actrice moderne par excellence, parce que, à l’instar des statues antiques, elle est en dehors du temps. » On se demande comment une femme comme elle, nihiliste et dévastée, a pu exister, elle qui ne jurait que par Schopenhauer et Proust, consciente à en crever d’être le poignard de sa propre plaie. Nous revient en mémoire son enfance dans le Kansas, à Wichita, où sa mère la traitait de petite putain, de sale vicieuse pour avoir aguiché Mister Flowers, un voisin qui abusait d’elle.
Le rêve de Louise Brooks était de mourir poignardée par un maniaque sexuel, comme Loulou dans le film de Pabst. Encore un vœu qui ne sera pas exaucé. Elle décédera à Rochester d’une crise cardiaque le 8 août 1985 dans son minuscule studio de Goodmanstreet, à Rochester. Seule, comme elle l’avait toujours été. J’ai appris sa mort à la piscine de Montchoisi à Lausanne où je nageais. J’ai pleuré. Et, secrètement, j’ai regretté de ne pas avoir été pour elle, et pour elle seule, Jack l’Éventreur. Elle m’avait envoyé des photos d’elle adolescente. Elle me suppliait de lui apporter un revolver à Rochester. Ma mère, elle, voulait que je plante dans son cœur, une fois morte, une aiguille à tricoter. Les femmes ont parfois des désirs étranges. Louise Brooks, elle, était l’étrangeté même.