À la fin de l’année, nous célèbrerons les 100 ans de Kléber Headens, disparu en 1976. En dehors d’une polémique désastreuse sur un collège de banlieue qui aurait dû porter son nom, lit-on encore Haedens ? Pour beaucoup d’entre nous, son Histoire de la littérature française demeure un ouvrage essentiel, le maître-étalon vigoureux de tout critique qui a la prétention d’écrire sur les livres des autres. En 1996, Etienne de Montety avait relevé, dans son « Salut à Kléber Haedens », toute la truculence du personnage, ses foucades comme ses exercices d’admiration. Cet été, j’ai relu Haedens par souci de santé, la rentrée littéraire est un marathon qui mérite quelques pauses gourmandes, mais surtout par plaisir. Plaisir de retrouver Jérôme Dutoit, le héros d’Adios, ou Wilfrid Dorne, celui de Salut au Kentucky. Mon vieux livre de poche (millésime 1970), résumait ainsi le roman, après une courte notice biographique de l’auteur, : « Peut-être y-a-t-il cent façons d’occuper un bel été quand on a vingt ans, mais Wilfrid Dorne n’en voit pas de meilleure que tomber amoureux d’une jeune femme dont le portrait est exposé à la devanture d’un magasin d’antiquités ». Difficile de ne pas poursuivre plus loin cet apprentissage de la vie qui démarre à l’été 1869. Je me suis demandé pourquoi les écrivains de droite, bien que la plupart ne se reconnaissait dans aucun camp politique défini, m’apportaient tant de bonheur de lecture.
Excepté Vailland, Besson, Lacoche ou mon camarade Jérôme Leroy, je (re)lis Haedens mais aussi Blondin, Nimier, Laurent, Perret, Mohrt, Morand, Déon, etc… Je pourrais continuer comme ça la liste des réfractaires comme les appelle Bruno de Cessole dans son merveilleux Défilé (qui vient de reparaître dans la collection Tempus aux éditions Perrin) ou des désenchantés comme les nomme Alain Cresciucci. La gauche humaniste peut manifester, les étudiants se réunir en AG, les professeurs convoquer un conseil de discipline. L’écrivain de droite (jusqu’aux années 80) avait du style, c’est un fait irréfutable, historique. Après les Trente Glorieuses, l’écrivain de droite s’est financiarisé, il a voulu rentabiliser son investissement littéraire, toucher sa part du gâteau. Il avait la volonté de s’en sortir, de ne pas rester un anonyme, un obscur tailleur de mots. Il a perdu ce qui faisait tout son charme réactionnaire, ses emballements de vieux con, sa langue travaillée, son vocabulaire oublié, sa force lyrique, sa mélancolie lancinante, son phrasé intime, ses peurs d’enfant. À l’exigence, l’original, le fracassant, il a préféré le marketing, le commun, le bêtifiant. Aujourd’hui, l’écrivain de droite n’existe plus, c’est une chimère, il forme un même ensemble mou, flou avec son homologue de gauche. Ils partagent les mêmes théories bidons, l’expansion économique et la croissance, comme seuls phares de l’Humanité, l’universel au détriment de l’individuel. En réalité, ils prônent l’appauvrissement généralisé et le déshonneur qu’ils appellent entre eux le progrès et la modernité. Gare à ceux qui osent mettre en doute leurs belles âmes réunies, sous des allures de démocrates débonnaires, ils peuvent se montrer féroces. De vrais tyrans qui auront les moyens de vous faire taire.
Avant ce grand melting-pot culturel, l’écrivain de droite avait des manières d’anar, de dandy déclassé, d’aristo fauché. Il écrivait à l’ancienne, à la hussarde, ne s’embarrassait pas de raisonnements pompeux, de théories savantes, il jouait perso, montait dans la surface de réparation et tirait droit au but. Les coups de sifflet de l’arbitre et les insultes du public ne l’arrêtaient pas. L’écrivain de droite était un révolutionnaire, une forte tête, il désobéissait sans cesse, refusait les cases bien établies, les hiérarchies honteuses et les compromissions d’état. Il était soupe au lait, on l’aimait pour son tempérament volcanique. Il allait toujours à contre-courant, quand l’université se pâmait devant le nouveau roman, il redécouvrait Céline et Morand, quand Sartre imposait son magistère moral, il ressortait les vieilles histoires de l’Occupation et dénonçait les résistants d’opérette.
L’écrivain de droite ne croyait pas aux héros modernes. Il était sevré depuis la défaite de 40. Ses modèles, il fallait les chercher du côté des Mousquetaires, des bandits de grands chemins, des irrésistibles vamps. Cette nature instable charmait le public et inquiétait les élites. Son style était à son image. Il n’avait pas comme son confrère de gauche, un message à déclarer, une ode aux peuples opprimés à déclamer, il ne chantait pas les louanges de la fraternité. Il était libre donc dangereux. Libre d’écrire ce qui lui passait par la tête, libre de rouler à 200 km/h, libre d’aimer, libre de trouver son époque déplorable, lamentable. Il ne se privait pas pour cracher sur les institutions et la faiblesse des hommes. L’écrivain de droite ne pardonnait rien. Aucun parti ne surveillait sa prose. Souvent, il payait cher son irrévérence, sa misogynie, son snobisme, son aversion de la foule. L’écrivain de droite n’était pas dans la transmission des valeurs. Il opérait dans le champ de l’immoral. Quand l’écrivain de gauche se regardait dans la glace et se trouvait terriblement beau et bon, l’écrivain de droite ne supportait pas son reflet. À la lecture, ça fait toute la différence.
*Photo : FR : Antoine Blondin en 1976. 00259435_000002.
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