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Pourquoi le SPD dit « nein » au PS


Pendant la campagne électorale, François Hollande espérait que sa victoire déclencherait une « vague rose » européenne et notamment une alternance en Allemagne qui verrait le SPD accéder aux responsabilités à l’issue des élections fédérales de septembre 2013. Dans son esprit, au-delà des liens personnels forgés au sein de l’Internationale socialiste et lors des rencontres bilatérales, le succès des camarades du parti frère aurait créé les conditions nécessaires pour changer le cap de la politique européenne en abandonnant la ligne « Merkozy ». Cet axe majeur de la campagne d’Hollande s’est appuyé sur deux malentendus. Le premier quiproquo magistral était de faire croire qu’avant l’entrée en campagne de François Hollande, le gouvernement français, soutenu par Berlin et le BCE, était hostile à l’idée même de croissance. En quelques semaines à peine, le PS et son candidat se sont emparés de ce mot, collant à leur adversaire le terme beaucoup moins funky de rigueur. C’était faire peu de cas de la politique de relance keynésienne menée par Sarkozy et Fillon à travers le ministère de la Relance un temps confié à Patrick Devedjian : du Hollande avant l’heure !

Le second tour de passe-passe socialiste n’était pas moins habile : faire croire que les autres socialistes européens, SPD en tête, partagent les idées du PS et sa conception de la croissance. Or, au-delà de clivages aussi sensibles que le nucléaire (le PS s’est engagé à fermer la seule centrale de Fessenheim tandis que le SPD a lancé une pétition pour l’abandon pur et simple de cette source d’énergie), les deux partis divergent sur la question cruciale de la « règle d’or ». Dans leur vision de l’endettement et de la gestion des comptes publics, les socialistes allemands sont décidément plus proches de Fillon que de Hollande.

Un second point problématique concerne le rôle et la compétence de la BCE, le SPD défendant strictement l‘indépendance de la banque centrale. Autrement dit, contrairement au PS, il s’oppose à l’idée d’accorder des prêts directs aux gouvernements et refuse de faire marcher la planche à billets.
Quant aux fameux eurobonds et à la mutualisation des dettes des pays de la zone euro, pierre angulaire de la « croissance » à la Hollande, les socialistes allemands mettent des conditions à un éventuel accord – des avancées institutionnelles conséquentes avant toute émission d’obligations mutuellement garanties – telles qu’elles rendent illusoire toute convergence avec leurs camarades français. Ainsi, le SPD soutient le projet d’Angela Merkel qui entend confier à la Cour de Justice Européenne (CJE) le pouvoir de sanctionner les mauvais élèves de la zone euro (« crédit contre intervention et supervision »), tandis que Hollande a désapprouvé cette interférence dans les prérogatives des parlements nationaux (« crédit contre engagements solennels de ne jamais recommencer »).

Mais tout ceci est essentiellement dû au gouffre qui sépare les deux cultures politiques. Dans le système politique allemand, le pouvoir exécutif, issu d’un Parlement élu à la proportionnelle, s’appuie souvent sur une coalition centre-gauche/centre droite, ce qui entraîne un « recentrage » des positions et une certaine culture du compromis. En France, la gauche rassemble son camp sur une ligne très à gauche – et la droite fait pareil à sa droite – pour ensuite, une fois les élections gagnées, avoir les mains complètement libres pendant la durée de la législature. Avec modération et esprit de compromis d’un côté, radicalisation et exécutif fort de l’autre, les deux rives du Rhin sont acculées au compromis franco-allemand.
C’est ainsi que par le passé, François Mitterrand entretenait des relations plutôt crispées avec et le SPD Helmut Schmidt qui, lui, s’entendait très bien avec le centriste VGE. En revanche, Mitterrand s’entendait à merveille avec le chrétien-démocrate Helmut Kohl. Plus récemment, Lionel Jospin n’appréciait que très moyennement le blairisme de Gerhard Schröder, lequel a récemment mis en garde Hollande contre une application trop zélée de ses promesses de campagne.

Hollande l’a d’ailleurs bien compris. Lors de son passage à Berlin en décembre 2011 à l’occasion du congrès du SPD, il a clairement démontré son talent de synthétiseur. « Je respecte l’indépendance de la BCE » déclarait-il on ne peut plus clairement. Mais il ajouta immédiatement cette merveilleuse formule : « je la voudrais [la BCE] plus attentive à la situation de notre économie réelle. Je souhaite qu’elle puisse élargir son rôle de prêteur et intervenir de façon mesurée contre la spéculation dans le cadre de ses statuts actuels ».
Quelle que soit sa position sur le rôle de la BCE, force est de reconnaître l’ambiguïté d’une formule telle que « souhaiter élargir son rôle de prêteur ». Ce genre de slogan alambiqué permet de gagner des élections en incarnant le « changement » et « l’alternative » tout en resservant les mêmes plats politiques et économiques à peine réchauffés. Vraisemblablement, le bras de fer Hollande/Merkel se terminera par un compromis permettant au premier de sauver la face. Mais quelle que soit la façon dont les choses seront présentées à Paris et Berlin, la feuille de route du conseil européen ressemblera bien plus aux axes tracés par Angela Merkel et la BCE qu’aux propositions de François Hollande.

*Photo : European Council



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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