Hommage de Philippe Bilger à son ami avocat, Jean-Louis Pelletier.
Maître Jean-Louis Pelletier est mort le 11 octobre 2022.
Mon si cher ami a été enterré religieusement le 18 octobre à la suite d’une belle et émouvante cérémonie que le garde des Sceaux avait honorée de sa présence.
Sa famille, son épouse Bernadette, ses enfants, ses proches, dans une grande dignité, ont rendu hommage à cette personnalité exceptionnelle dont avec une tendre et délicate ironie ils ont souligné certains traits de caractère quasiment connus de tous.
Beaucoup d’avocats s’étaient déplacés et, parmi eux, quelques-uns, hommes et femmes, auxquels j’étais lié tout particulièrement et que, j’en suis persuadé, lui-même privilégiait.
Dans l’assemblée, au moins deux anciens magistrats, Didier Gallot et moi-même.
J’ai évoqué la messe dont l’ordonnancement et la tenue n’ont été perturbés que par la charge outrancière du vice-bâtonnier contre la magistrature en général, comme si c’était le lieu et le moment pour cela. Cette diatribe était aux antipodes du comportement habituel de Jean-Louis Pelletier, cet immense avocat qui n’a jamais confondu droits de la défense et détestation des magistrats.
Sa grande force était précisément de n’avoir pas besoin d’une hostilité systématique à l’égard de ceux qu’il avait à convaincre, magistrats et encore moins jurés, pour exprimer tout son talent et l’indépassable machine à convaincre qu’il était.
J’ai insisté sur la présence de Didier Gallot et la mienne pour compléter des propos et des aperçus qui auraient pu laisser croire que Jean-Louis Pelletier n’était qu’avocat, dans un registre certes brillant mais ordinaire. Alors qu’il était à mon sens bien plus et que, s’il a bien voulu m’accepter, nous accepter, mon épouse et moi, comme amis, c’était précisément parce que sa condition d’homme, sa qualité d’humain et sa lucidité de citoyen dépassaient largement le champ étroit et technique de sa mission d’avocat.
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Cette remarque m’a toujours semblé pouvoir départager le barreau classique et de haute tradition, des avocats seulement inspirés par le pragmatisme de vouloir gagner à tout prix, par n’importe quel moyen, au risque pour la société d’être à nouveau et rapidement victime.
Jean-Louis Pelletier n’a jamais oublié, comme Henri Leclerc, comme Hervé Temime, comme mon cher Thierry Lévy qui manque tant, qu’un avocat ne devenait vraiment exceptionnel que s’il était capable d’embrasser, bien au-delà de sa passion de défendre, avec toute la richesse de sa personnalité, de sa culture et de ses engagements, ces moments où il ne convient pas de plaider mécaniquement l’acquittement quand il est absurde, ou de plaider paresseusement une indulgence parfois inconcevable lorsque l’accusé est gravement coupable.
Jean-Louis Pelletier était la parfaite incarnation de l’avocat-citoyen, de l’avocat pour qui la morale était consubstantielle à son art et à sa volonté acharnée d’être celui sur lequel l’être dont il avait la charge pouvait compter.
La plupart des médias, à l’égard de ceux qu’ils qualifient naïvement de ténors, omettent radicalement cette part d’intégrité intellectuelle et humaine sans laquelle le barreau, quelle que soit sa fiabilité technique, ne peut se dire exemplaire.
Une anecdote qui démontre à quel point Jean-Louis Pelletier ne se rengorgeait pas parce qu’il était avocat mais faisait coexister en lui le plaideur indépassable et l’homme dégoûté.
Je me souviens d’un procès d’assises où il avait à défendre un père qui avait étranglé son enfant de six ans dans le cadre d’un divorce épouvantable. Avant que les débats commencent, comme il paraissait vraiment très sombre, je lui avais demandé s’il se sentait bien. Il m’avait répondu qu’il détestait son client…
C’était tout lui, cet écartèlement entre la défense et l’humanité, entre l’univers pénal et le monde de l’émotion, entre la rigueur du professionnel et l’indignation du père.
C’est pour cela que j’ai été si fier de le connaître et qu’il m’ait adoubé comme magistrat, comme ami.
Bien plus qu’un très grand avocat, un homme bien.
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