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Pourquoi je défends Guéant


Photo : Sénat.

Et un de plus ! Les propos de Claude Guéant nous valent un nouveau procès en diabolisation. « Toutes les civilisations ne se valent pas », a donc dit notre affreux devant les étudiants de l’UNI en dénonçant le sinistre relativisme. Et la querelle est partie comme le lait sur le feu d’une manière aussi prévisible que lassante.

Je ne suis pas certain que la gauche gagne à multiplier ces polémiques qui finissent par laisser penser qu’un ordre moral règne et que certaines questions (toutes les civilisations se valent-elles ?), certains mots (identité nationale, immigration…), certains arguments sont totalement proscrits de l’espace public. La délectation avec laquelle toutes les bonnes consciences morales montent à la tribune avec de somptueux effets de manche fait presque peine à voir au regard d’un propos que le péquin moyen – et je m’intègre sans vergogne à la liste – pourrait fort bien interpréter comme : « Je préfère vivre dans un pays des droits de l’homme et de la femme plutôt que dans une dictature théocratique. »
Mais Guéant a eu le malheur d’utiliser le mot « civilisation » ! Grave crime en effet qui suggère l’idée d’un « choc des civilisations », qui rappelle l’idéologie du colonialisme, qui, donc, promeut le néo-colonialisme ![access capability= »lire_inedits »] On a alors assisté, dans la minute, à de savantes analyses montrant que le terme était inadéquat, erroné, injurieux. Et donc que Guéant était à la fois inculte, bête et méchant.

Devant cet assaut d’un moralisme un peu trop suspect de cynisme, je ne peux pas m’empêcher d’avoir envie de prendre la défense du méchant ! Pour dire deux choses.
1) La défense de l’équivalence des civilisations ne m’est pas plus sympathique que l’affirmation de leur hiérarchie. Il faut relire Oswald Spengler (Le Déclin de l’Occident, 1918-1922) qui défendait l’idée que les civilisations étaient des « organismes » obéissant à un rythme biologique identique : naissance, croissance et déclin. Entre elles, nulle comparaison n’est possible, puisqu’elles n’ont aucun rapport. Cette équivalence-là est tout aussi périlleuse que l’idée de supériorité, car elle conçoit chaque civilisation comme une entité fermée sur elle-même. C’est l’origine intellectuelle du différentialisme culturel, où l’on respecte tellement les différences qu’on finit par ne même plus se causer !

2) Ensuite, il faut tout de même admettre une supériorité incontestable de la civilisation occidentale sur les autres – et là, je me lâche ! : elle est la seule à parvenir à aussi bien se détester. C’est par là que l’on peut sortir de la vaine polémique actuelle : la supériorité de l’Occident, ce serait au fond, sinon le relativisme lui-même, du moins cette capacité de se décentrer, de s’autocritiquer, voire de se haïr. Cela commence avec Homère – très oriental au demeurant – qui dresse un portrait peu flatteur des Grecs dont il est censé raconter l’épopée : que valent Achille et Agamemnon, à côté du bon et bel Hector ? Et cela n’a ensuite jamais cessé : critique chrétienne de Rome ; critique humaniste du christianisme ; critique « moderne » des humanités antiques ; critiques ultraconservatrices et hyper-révolutionnaires de la démocratie et des droits de l’homme ; critiques occidentales de l’Occident colonial, etc. : la liste est longue. Et ce parcours est toujours balisé par la haine de soi, le sanglot de l’homme blanc, le débat sur la comparaison des civilisations, voire la culpabilité. Tels sont, pour le meilleur comme pour le pire, les traits caractéristiques de notre univers spirituel. Le meilleur, c’est l’autoréflexion, la distance critique ; le pire, c’est quand la critique n’accepte plus la critique. Et là on y est presque.[/access]

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Février 2012 . N°44

Article extrait du Magazine Causeur



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Pierre-Henri Tavoillot est maître de conférences en philosophie à la Sorbonne et président du Collège de Philosophie. Dernier ouvrage paru, en collaboration avec Eric Deschavanne : <em>Philosophie des âges de la vie</em> (Pluriel, 2008).

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