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Pour répondre à la question de savoir pourquoi être franc-maçon aujourd’hui, encore faut-il avoir une idée juste de ce qu’est la franc-maçonnerie. Et pour établir une définition sur laquelle on peut s’accorder, c’est plutôt en commençant par dire ce qu’elle n’est pas, qu’on peut le mieux cerner ce qu’elle est et la dégager du vague dans lequel nombre d’esprits, et pas seulement profanes, la situent.
En premier lieu, il convient de dire que la franc-maçonnerie n’est pas une religion, même si nous affirmons la croyance en un Grand Architecte de l’Univers, entité suprême, force spirituelle dominante, ce n’est pas suffisant pour avoir le statut de religion.
En effet, ce Dieu, que nous nommons Grand Architecte, ne nous a pas parlé directement, il ne nous adressé aucun messager, fils ou prophète ; il ne nous a transmis aucun précepte à suivre, aucune loi, aucune directive, et aucun humain ne s’est déclaré porteur d’un message, ou rapporteur d’une révélation ou d’une vision.
Nous n’obéissons à aucun interdit alimentaire, vestimentaire. Nous ne proposons aucune prière, à prononcer matin et soir, nous ne vivons pas dans la hantise de péchés plus ou moins capitaux, car nous ne promettons nul enfer ou nul paradis, selon que nous aurons fait plutôt le bien ou plutôt le mal ; nous sommes responsables devant nous-mêmes, devant notre propre conscience, devant notre miroir. Nous n’imposons nul baptême, nul sacrement, nulle communion, nulle confession, nulle extrême-onction.
En fait, la franc-maçonnerie est à la base d’une morale universelle, capable de se débarrasser de dogmes autoritaires et de mettre fin au « relativisme historique et culturel des différentes religions révélées »,nous dit le philosophe, Michel Liégeois.
La franc-maçonnerie, n’est pas un parti politique. Même si certaines obédiences ont tendance à orienter leur travaux vers des sujets qui sont très mitoyens avec des thèmes qui se retrouvent plus tard dans le champ de la politique, il faut remarquer qu’à l’origine ces sujets sont d’ordre éthique, philosophique : la peine de mort, l’avortement, l’euthanasie, bien avant que d’investir les houleux débats à la chambre des députés ou au Sénat.
La franc-maçonnerie n’est pas un syndicat. Là encore, des obédiences frôlent des sujets qui ont quelques rapports avec l’organisation sociale du travail, la place de l’homme dans le monde professionnel. Quant à nous, il y a longtemps que l’on a clos le débat sur la durée du temps de travail et les 35 heures, puisque « nous travaillons de midi à minuit ! » https://fr.wikipedia.org/wiki/Vocabulaire_de_la_franc-ma%C3%A7onnerie#cite_ref-33
Enfin, la franc-maçonnerie n’est pas une association humanitaire, ou de bienfaisance. C’est l’orientation qu’en donnent nos amis américains, ouvrant des hôpitaux, des associations d’entraide, ce n’est pas du tout notre option en Europe, même si nous savons aussi faire œuvre de générosité par des dons à divers organismes.
Alors, que reste-t-il de la maçonnerie après avoir fait le tour de tout ce qu’elle n’est pas… Et pourquoi y entrer ?
Le besoin de sacré
Tout d’abord le besoin du sacré. L’espace religieux, quel qu’il soit, n’est pas le seul dépositaire du sacré. Nous entretenons une relation particulière pour l’indicible « des forces de l’esprit ». Nous avons le goût pour nous réunir dans un certain formalisme ; nous avons besoin de nous sentir élevés dans une transcendance, et la franc-maçonnerie avec ses rituels, nous apporte cette musique intérieure qui accompagne nos propos, permettant de libérer notre pensée profonde, ne nous soumettant à aucune injonction divine extérieure venue d’entre les nuages.
Nous sommes des hommes debout ; c’est même la première posture que l’on nous enseigne quand on entre en maçonnerie, nous nous tenons droits, d’équerre, par rapport au plan de la terre. Notre sacré inspire à l’élévation et non à la soumission… Le goût que nous avons pour la pratique d’un rituel est un élément capital ; notre rituel est un discours, un enseignement, nos postures, nos gestes, sont tous chargés d’une pensée et ne fait pas de nous des fidèles, assistant passivement à une cérémonie…
Nous entrons donc en maçonnerie, aujourd’hui comme hier, pour l’effet vertueux de la richesse de nos échanges culturels.
La franc-maçonnerie fait le pari que c’est par la culture que l’homme se sauvera… Non pas une culture partisane, idéologique ou dogmatique. C’est d’ailleurs là où se fourvoient tous les groupements humains. Chacun d’entre eux voudrait devenir le seul et unique qui amalgamerait tous les hommes. Les chrétiens voudraient que tous adoptent le Dieu des chrétiens, les musulmans celui des musulmans, les juifs celui des juifs… Je m’arrête là ! En économie, les libéraux voudraient que tous les habitants de cette planète soient convaincus que le libéralisme est la panacée ; le socialisme voudrait, au contraire, tout réguler. En politique certains ne jurent que par un roi, d’autres que par la République, d’autres ne peuvent rien dire, étouffés qu’ils sont par des dictatures, et tout ce monde de se battre pour faire triompher ses conceptions… Cela fait des millénaires que les hommes s’empoignent autour de ces sujets et pour quel résultat ?
Cela pour l’Histoire, mais aujourd’hui, pour le contemporain, que voit-on ? On voit que le terrorisme est mondial, l’économie est mondiale, l’information est mondiale, les réseaux sociaux couvrent la planète, la science est mondiale, l’essor des nouvelles technologies est mondial, ce mouvement d’élargissement est inexorable… Et en regard, par peur de disparaître, par peur d’une dissolution, cela entraîne des réflexes de repliement sur soi, des désirs de restaurer des frontières, des territoires, des régions, des indépendances de provinces ; on érige des clôtures, pourquoi pas bientôt des octrois à l’entrée des villes, comme autrefois, au XIXème siècle. La peur de l’autre, de tous les autres, tourmente les esprits. On veut être entre soi, ce qui conduit à être contre tous les autres. Alors la violence explose.
Autant de raisons pour être franc-maçon aujourd’hui. Faire entendre la voix d’une diversité acceptée, qui maîtrise ce mouvement inexorable d’élargissement du monde et d’interpénétration des savoirs, des croyances, des cultures. Nous sommes un espace rassurant d’échange entre les hommes, où l’on prend le temps de se parler, de s’écouter, de faire dialoguer les cultures entre elles, où l’on ne considère pas l’autre comme une menace, mais comme une richesse supplémentaire. Bien-sûr nous n’allons pas tout régler pour demain. C’est un très long et lent travail qui nous est demandé…
La franc-maçonnerie, telle que nous la pratiquons, a cette étonnante capacité d’assembler les différences sans mélanger, de relier les hommes sans les attacher, d’avancer sans oublier, de respecter les idées sans les figer. Alors pour répondre à la question, pourquoi être franc-maçon aujourd’hui ? Je dirai simplement, pour participer à la grande cérémonie de la pensée…
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