Comme le gouvernement, en organisant à brûle-pourpoint un nouveau débat national, semble ne pouvoir s’empêcher de régir les conversations de bistrot que nous tenons dorénavant sur Internet, j’ai envie de lui proposer un super sujet (à mon humble avis) : le christianisme. Puisque parler de l’islam est paraît-il stigmatisant pour les musulmans, « en tant que chrétien », et même en tant que catholique, assumons carrément, je m’offre en victime expiatoire du nouveau débat que le président a concocté pour piquer (ou donner, on ne sait plus) des voix au Front National. Parler de cette vieille chose obsolète que l’on appelle le christianisme et de ces gros ringards que l’on appelle les chrétiens, ça pourrait être sympa, non ? Super fun et top délire ? Stigmatisation ? Même pas peur. Laissez venir à moi les stigmatiseurs. Moi aussi, je veux être stigmatisé, histoire que l’on parle de moi et de ma religion à moi dont j’ai l’impression amère qu’elle quitte la scène nationale un peu trop discrètement, pour laisser la place à une autre, un peu trop m’as-tu-vu à mon goût malgré (ou grâce à) son goût à elle pour le voile. Mais n’est-ce pas le sort de tous les parvenus que d’afficher un peu trop ostensiblement leur réussite sur la place publique? Islam Pride, écrivait quelqu’un récemment. Certes, le succès des nouveaux riches a toujours irrité les gens en place, mais le problème cette fois-ci c’est que les gens en place ne le sont plus guère et qu’une nouvelle religion chasse l’ancienne, comme, serait-on tenté d’ajouter si l’on était d’humeur polémique, la mauvaise monnaie chasse la bonne. On a même entendu récemment Michel Godet, hypermédiatique de droite, chrétien de surcroît[1. je crois, je n’en suis pas sûr, le christianisme, contrairement à d’autres religions et sauf exception, tel votre serviteur, ne se portant plus guère en bandoulière dans l’espace public], proposer tranquillement, et sans guère créer de polémique, de transformer des églises en mosquées. Mais voilà que je me mets à faire dévier mon débat à moi sur l’islam, comme un Besson de base ! Revenons vite à nos ouailles.
Pour lancer le débat, rappelons certaines choses qui selon moi confinent au truisme. Certaines mauvaises langues, je pense par exemple à Marcel Gauchet ou Pierre Manent, sous-entendent parfois que la forme politique de la nation n’est pas tout à fait étrangère à la religion qui a dominé l’Occident pendant deux petits millénaires, avant qu’elle ne s’éclipse sur la pointe des pieds. Peut-être, pour comprendre où nous allons au moment où la nation et la religion chrétienne semblent disparaître de conserve de nos contrées, serait-il utile de comprendre les liens qui les unissent, et de constater que pendant que l’Europe post-nationale se construit cahin-caha, une autre religion, une religion « civilisationnelle », l’islam (zut, encore lui), tient de plus en plus le haut du pavée. On pourrait multiplier les sujets de débats à propos du christianisme, qui nous permettraient peut-être, si nous faisions preuve d’une ouverture d’esprit inédite sur ces sujets, de mieux nous comprendre. Existe-t-il un lien entre « les droits de l’Homme » et le souci des faibles et des persécutés, tel qu’il se manifeste dans la Bible en général et dans les Evangiles en particulier ? Si oui, de quel ordre ? L’universalisme chrétien, incarné par saint Paul, est-il la source de l’universalisme occidental en général et français en particulier? Le Christ en affirmant que son Royaume n’est pas de ce monde ou en proposant de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, a-t-il permis à ce que nous appelons en France la laïcité d’exister ? Toutes ces belles choses qu’a créées l’Occident, l’éducation obligatoire, l’hôpital, l’Etat providence, sont-elles des institutions chrétiennes devenues folles, pour reprendre les thèses de G.K. Chesterton et de Ivan Illich ? Le concept de « secondarité culturelle », cher à Rémi Brague, qui dans une interview récente, dont je ne saurais trop recommander la lecture, a tranquillement déclaré qu’en Europe aujourd’hui, d’une façon ou d’une autre, « nous sommes tous islamistes » (aïe, toujours l’islam), le concept de « secondarité culturelle », disais-je, propre à la romanité dont nous sommes les héritiers gâtés et indignes, n’est-il par un trésor spirituel dont la perte probable mériterait au moins quelques larmes qui ne seraient pas de crocodile ? On pourrait multiplier les questions de ce genre, qui nous permettraient de mieux mesurer ce que nous perdons. Un débat sur ce qui s’en va, sur ce que nous délaissons d’un cœur si léger, voilà mon rêve utopique et pénétrant. En terme festif : une petite catho pride, avant que nous ne débarrassions définitivement le plancher… Est-ce trop demander au chanoine du Latran ?
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