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Pour qui votent les vétérans ?


Barack Obama et Mitt Romney ont au moins deux points en commun : d’abord, ils n’ont jamais fait leur service militaire, une première depuis l’élection présidentielle de 1944. Pourtant, le démocrate et le républicain adorent également les forces armées et les « Vets ». Le candidat Obama veut gagner les cœurs d’un électorat traditionnellement républicain ; Mitt Romney s’emploie à les conserver. Selon le dernier sondage Gallup[1. Sondage Gallup réalisé du 11 avril au 24 mai 2012 sur un échantillon de 7000 vétérans.], Romney bénéficie de 24 points d’avance parmi les vétérans : 58% pour Romney, 34% pour le président sortant.
Il n’est donc pas surprenant que les deux candidats à l’élection présidentielle de novembre se soient affrontés le 28 mai, à l’occasion du Memorial Day, date à laquelle le pays commémore les morts et les blessés des guerres américaines.

À San Diego, sur la côte Ouest, le républicain, faute de hauts faits d’armes, s’était adjoint la présence et l’aura de John McCain, candidat malheureux en 2008, certes, mais héros du Vietnam. Quant à Barack Obama, il a tenté d’infléchir la tendance en prononçant, devant le Mur du Vietnam à Washington, un discours rendant hommage aux combattants du Vietnam, que la gauche des années 1970 conspuait et rejetait comme les ennemis de la nation américaine.[access capability= »lire_inedits »] « Le traitement infligé aux vétérans du Vietnam est une honte nationale », a-t-il déclaré, au risque de causer des dégâts dans la frange ultragauchiste de son parti. Il est vrai que les vieux babas sont des démocrates convaincus, et de toute façon une poignée en comparaison des 23 millions de vétérans – auxquels s’ajoutent les hommes et les femmes qui portent aujourd’hui l’uniforme, soit 3 autres millions de voix.

Ce jour-là, le corps des Marines, l’Armée, l’US Air Force, la Marine, et la Garde nationale se sont donné rendez-vous sur les pelouses du National Mall de Washington D.C. pour le défilé. Sous une chaleur humide, les groupes attendent leur tour. « Obama essaye de nous acheter, et je ne tomberai pas dans le panneau », affirme le caporal Jessie M., 22 ans, qui a servi en Irak pour l’US Army. À côté de ce Blanc du Kentucky, une Afro-Américaine, sœur d’un soldat tué en Afghanistan en 2011 proteste: « Il ne faut pas dire ça, le Président est sincère, et il fait ce qu’il dit. »

En janvier 2011, Obama a lancé un programme − Joining Forces − destiné à aider les vétérans : ceux d’hier, qui sont majoritairement à droite, et les nouveaux héros qui retournent chez eux, en proie au désarroi physique et émotionnel, et en pleine crise économique. Une population politiquement souple. Les principaux ministères et agences américaines ont signé un engagement en 50 points visant à trouver un emploi à ceux qui rentrent chez eux, à assurer aux épouses la stabilité de leur travail malgré les déménagements d’une base militaire à l’autre, à assister les nouveaux vétérans qui tentent de se suicider à un rythme toujours plus effrayant chaque année, ou encore à réduire le nombre de vétérans sans abri. De grandes entreprises américaines ont déjà tenu leurs promesses d’engager des milliers de militaires, dont les compétences techniques sont prisées. Ce programme s’ajoute aux mesures déjà adoptées par l’Administration démocrate, notamment la résurrection du GI Bill, qui offre aux vétérans une éducation quasiment gratuite.

Mais sur le Mall de la capitale fédérale, la plupart des militaires et des vétérans refusent de parler politique. « D’ailleurs, s’empresse d’ajouter le capitaine Morgan, des Marines, avec un clin d’œil à ses subalternes, on n’en parle jamais entre nous. » En réalité, il suffit d’avoir visité des casernes ou des hôpitaux militaires pour savoir que dans les chambrées, il est courant d’entendre : « Ce mec [Obama], n’est pas fiable, il n’est pas mon président. » Beaucoup croient encore – sans doute parce qu’ils veulent le croire − que l’occupant actuel de la Maison Blanche n’est pas citoyen américain, mais un affabulateur qui a contrefait son certificat de naissance. Un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, navigateur sur B17, m’assure que « le Président est un musulman à la solde de ceux qui n’aiment pas l’Amérique ». Le major Cook est célèbre, non pour ces actions d’éclat sur le terrain, mais pour avoir refusé de servir sous les drapeaux, parce qu’il ne reconnaissait pas la légitimité du président.

« Dis-moi qui a eu Ben Laden, trouduc ? C’est Bush peut-être ? », lance un soldat à un autre, moins gradé, qui met en cause le bilan d’Obama. Les plus longues opérations que les États-Unis aient jamais menées (Afghanistan et Irak), même avec des troupes exclusivement composées de volontaires, ont généré pas mal de désillusions. « On a été formés pour tuer, et on a fait de nous des gendarmes, avec leurs idées de se faire copains avec la population. La paix, les talibans, y’a un truc qui colle pas, là ! Tout ça pour sauter sur un engin explosif. Moi, merci, c’est pas pour ça que je me suis engagé, enrage le lieutenant Ben Milfred, 27 ans. On se tire de ces pays pourris, on n’en parle plus, et je fais davantage confiance aux « dems » qu’aux « reps » pour ça. Bush, comme Romney, ne pensent qu’à l’argent. » La mère d’un adolescent qui participe à la parade sous la bannière des jeunes Marines brandit une petite Bannière étoilée en hurlant : « Vive Romney, Vive l’Amérique ! » « De quoi je me mêle ? », demande, en la suivant du regard, une femme soldat, le sergent Harris. Même en uniforme, les femmes sont plutôt favorables à Obama, comme on l’a vu lors de l’élection de 2008.

Quant aux homosexuels, Obama espère bien qu’ils le remercieront d’avoir mis fin à la discrimination qui leur fermait la porte des forces armées américaines – sans compter sa prise de position en faveur du mariage gay. Tout cela aidera sans doute le candidat démocrate à gagner quelques cœurs dans les rangs de l’US Army. Il n’est pas sûr que cela lui suffise pour emporter la victoire dans cette nouvelle « guerre du Vet ».[/access]

*Photo : 7th Surgical Hospital (MA) Vietnam

Juin 2012 . N°48

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste depuis 1978. Elle a été grand reporter puis correspondante a Washington pour Radio France. Elle a collaboré avec France3, Canal+, Le Figaro, Le Monde, Libération, Elle (mais pas avec les allemands). Elle a écrit une thèse en addictionologie sur l'armée américaine en 2009. Elle vit et travaille aux Etats-Unis avec son mari et sa belle-fille. Elle est citoyenne francaise et américaine.

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