Le dimanche matin, il y a mieux à faire, vous diront les adeptes du vide-grenier, de la grasse matinée avec ou sans galipettes, de la pêche à la ligne, à la mouche ou à la grenade, voire tout simplement les bons catholiques qui vont à la messe. Et puis il faut préparer le repas de famille dominical, la tarte à la rhubarbe, envisager l’apéro, avec un peu de chance, un petit rayon de soleil nous réchauffera le terrasse…
La liste des empêchements est aussi longue que la vie des contemporains, s’y ajoute inévitablement le désenchantement définitif d’une grande partie d’un peuple qui n’a plus qu’une confiance très relative dans ceux qui sont censés le représenter, et, au vu des résultats, il est loisible de le comprendre. Cette défiance vis à vis de la représentation est plus ou moins assumée selon le degré de ce que, de mon temps, l’on appelait la « conscience politique ». Il y a évidemment les anars qui ne mangent pas de ce pain là : « Si les élections pouvaient changer la vie, ai-je lu récemment sur un autocollant rouge et noir, on les aurait interdites depuis longtemps ». Il y a les je-m’en-foutistes qui se contentent de vivre et s’accommodent de tous les régimes, opportunistes, débrouillards, invisibles, et j’en passe: ils ne se pensent même pas citoyens, ils s’en foutent comme de leur première cuite, ça ne les concerne pas, tout simplement. Il y a les gens du peuple -comment les nommer autrement?- qui se disent à quoi bon, en rajoutant à leur lassitude une épaisse couche de « Tous pourris ! » avec l’accent gouailleur d’un comique populaire que l’on qualifierait aujourd’hui de populiste s’il n’était mort au guidon de sa moto, il y a longtemps déjà. Certes on peut reprocher à Coluche d’avoir ouvert la voie à des générations d’humoristes sans humour (en général compensé par un vigoureux engagement antidroite); mais lui avait un sacré talent avant de sombrer dans l’humanitaire.
Et puis il y a ceux qui pensent que notre système électoral n’est pas vraiment démocratique, pas dans le sens qu’ils auraient souhaité en tout cas: ils rêvent de mandats impératifs (interdits dans nos démocraties représentatives) plutôt qu’électifs. Ils aimeraient des votations citoyennes comme chez nos voisins suisses, mais la Suisse est un petit pays confédéral trilingue, pays natal de Rousseau: la démocratie directe n’est possible qu’à un niveau micro national, notre pays est, hélas, attaché à son jacobinisme, à la professionnalisation outrancière des représentants comme dans presque tous les pays occidentaux.
Représenter le peuple est un métier, lucratif, peu dangereux (à quelques exceptions près) et évolutif: vous pouvez en partant de tout en bas (maire de village) accéder aux plus hautes fonctions, et si en plus vous êtes passé par les cursus administratifs, la fonction publique est la voie royale… A part Bérégovoy et un garagiste célèbre de Loudun, il y a eu peu d’élus…Le peuple, cet étrange animal dangereux et immature, un ramassis de gens qui travaillent pour gagner leur vie et celle de leurs proches, aimerait sans doute parfois avoir son mot à dire, en dehors des parades manifestantes et autres raouts plus ou moins festifs, des syndicats qui défendent d’abord leurs intérêts. Comme disait l’autre, il n’est libre qu’au moment de voter et esclave le reste du temps, il est avant tout un contribuable et il ne contribue que par la fiscalité, ne pouvant même plus apprendre à défendre son pays! Il assiste sur les chaines câblées à des séances de l’assemblée de ceux pour lesquels il a peut-être voté et qui sont censés parler à sa place, nantis qu’ils sont de la parole et de la compétence, tu parles! L’hémicycle est aux trois quart vide, et certains des présents somnolent: il n’y a pas de pointeuse à l’assemblée? De quel droit, se disent-ils ces gens-là, MES députés se permettent-ils d’être absents, mandatés qu’ils sont par et pour le peuple: quoi d’étonnant à ce qu’ils décident de consacrer leur dimanche, ça tombe bien c’est un jour sacré, à d’autres activités qu’introduire un bulletin de vote dans une urne.
En définitive les abstentionnistes votent tout simplement pour le peuple en refusant de voter, parce que la représentation a du plomb dans l’aile, et il serait temps de s’en inquiéter sérieusement: c’est-à-dire en dehors des mantras de la morale civique (le vote est un droit, est-il vraiment un devoir?) ou des solutions à la Belge (vote obligatoire sous peine d’amende): les Belges ont un taux d’abstention très faible, soit, mais ils sont incapables de se gouverner de façon unitaire… L’inscription sur les listes électorales est obligatoire en France, mais il n’y a aucune sanction prévue dans le cas contraire: que signifie une loi sans coercition pour l’appliquer ? Sans doute qu’en définitive la citoyenneté n’a plus aucune importance, y compris pour ceux qui en vivent…
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