Monsieur Nostalgie évoque la figure d’Herbert Léonard, disparu hier à l’âge de 80 ans, interprète de plusieurs tubes immarcescibles des années 1980…
On parle souvent de la malédiction du tube unique qui cacherait la valeur intrinsèque de l’artiste. Comme si le succès, fatalement, entraînerait le chanteur de variété dans une longue pénitence, obligé d’égrener son standard à l’infini sur les plateaux ou dans les kermesses commerciales. Toute une vie ramenée à une chanson tutélaire, résumée à un refrain, interminable sillon qui vous oblige à répéter les mêmes gestes et oblitère votre spectre musical.
La musique d’une jeunesse
Herbert Léonard a possédé dans son répertoire non pas un titre mais une poignée de chansons d’amour et d’emballement qui ont cristallisé une époque bénie. Celle des effleurements et des rencontres fortuites, des bals de village et des slows en discothèque de province. Quand le flirt n’était pas honni des rapports humains et que le plaisir n’était pas la maladie honteuse des « boomers ».
A lire aussi, du même auteur: La fin du Macumba
À cette époque-là, la jeunesse croyait sincèrement aux incantations de Gilbert Montagné et de Julio Iglesias. Elle avait soif en l’Autre et s’inventait des vies à la Châteauvallon. Elle n’avait pas honte des rengaines populaires, elle ne se faisait ni procureure, ni justicière de ses aïeux, elle vivait sa vie sans idéologiser. Elle ne se perdait pas en arguties virtuelles. Elle ne se regardait pas vivre. Cette jeunesse-là était dans l’instant, dans la soirée du samedi à venir, dans la conquête et les rires complices, elle brûlait son trop-plein d’énergie sur les pistes. Elle n’avait pas vocation à sermonner l’humanité. Elle connaissait le prix du labeur et des impasses sociales. Elle bossait à l’usine au pied d’une machine et sortait d’une année de service militaire. Elle n’était pas idiote sur ses chances de réussite. Au Grand Soir, elle préférait attendre son messie des ondes, en smoking, qui lui raconterait des histoires un peu trop brillantes pour être vraies. Cette jeunesse-là n’était dupe de rien. Elle ne se posait pas en génération moralisante ou en victime pleureuse.
Nous ne le zapperons pas sur la FM
Herbert, pas bégueule, voix bien posée, nous accordait la permission d’enjoliver notre quotidien : mettre « un peu de rêve à notre vie » ou « un soir, claquer tout d’un seul coup ». Son message serait-il entendable aujourd’hui où sont réglementés chacun de nos pas, chacun de nos mots et chacune de nos pensées ? Sur un filet de synthé, dans un romantisme carnassier métallique, une noirceur sous-jacente, son « puissance et gloire » est un chef-d’œuvre d’éducation sentimentale à la progression lente. Tout y est condensé, comprimé en trois minutes : l’aventure, la passion, le trouble et le goût du tumulte. Qui n’a pas écouté ce titre miroitant dans une turbulente 205 GTI blanche à vingt ans, sur une départementale désertique, au cœur du Berry ou du Morvan ne connaît rien des imaginaires français et des élans incertains. Le charme d’un tube qui traverse les décennies, c’est justement d’ancrer notre mémoire, de fossiliser une histoire, de rameuter les souvenirs, d’habiller nos errements. Et un homme sans souvenir est l’ennemi du genre humain.
A lire aussi: Des morts illustres… et un grand historien
Finalement Herbert, sans la pompe des poètes, sans l’égo des romanciers, aura eu bien plus de résonance dans nos propres vies que nos lectures besogneuses. Évidemment, sur le moment, personne n’aurait songé à qualifier son répertoire d’essentiel, on daubait sur cette production commerciale, insane aux oreilles des « sachants », on salissait déjà « le populaire » pour mieux le liquider. Nous réécouterons longtemps encore Herbert, nous ne le zapperons pas sur la FM, alors que les penseurs magistraux, encensés sur les barricades, voient leurs œuvres se déconstruire sous le poids des mensonges et de leur folle propagande. Aujourd’hui, Herbert a définitivement gagné la bataille idéologique. Et, si au contraire, le tube était une bénédiction, s’il ouvrait la constellation des possibles. Nous sommes émus car Herbert était un confrère, un journaliste féru d’aéronautique et auteur de livres. Nous avions partagé le même éditeur de beaux livres spécialisé dans les passions enfantines. Quand on écrivait sur les vieilles automobiles, Herbert planchait sur les vieux coucous. Nous avions les mêmes coffres à jouets.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !