Je m’étais couchée sans vraiment savoir. Pendant que je devisais avec un camarade, quelqu’un avait téléphoné, nous informant au passage du but encaissé. Puis, nous étions passés à autre chose. Au bruit ou plutôt à son absence, nous avions noté que l’équipe de France n’avait pas accompli le moindre exploit. Plus tard, avant de sombrer, j’ai mollement pensé qu’il n’y avait pas eu de séance de penalties, laquelle aurait été rythmée par des salves de clameurs joyeuses ou désespérées. Ça ne m’a pas empêchée de dormir.
C’est néanmoins la première nouvelle qui est parvenue à mon cortex à travers les brumes du réveil. La France est qualifiée pour l’Afrique du sud. Bon. Mais j’ai tout de suite remarqué que tout le monde tirait une gueule d’enterrement – ça s’entend très bien à la radio. Quand les mots « main », « arbitre », « Thierry Henry » se sont enfin assemblés en phrases, j’ai pensé qu’il y avait de quoi. Les confrères ont été impeccables, personne n’ayant eu l’indécence ou l’inconscience de saluer trop bruyamment cette victoire volée. Les joueurs font profil bas, à l’exception de quelques-uns dont Thierry Henry qui s’en lave la main, déclarant dans Le Parisien qu’il est « joueur pas arbitre », et Domenech qui finit par mériter l’unanimisme qui se fait contre sa personne. Notre coach au cœur de midinette a trouvé presque regrettable que la sélection irlandaise soit privée d’Afrique du sud. Presque regrettable ? Je dirais plutôt que c’est parfaitement dégueulasse.
Je m’étonne cependant que la patrie des droits de l’homme se résigne aussi facilement à ce déni de justice diffusé en mondorama. Puisque la faute de Henry a été entérinée par l’arbitre, faisons comme si elle n’avait pas existé. Il n’y aurait plus rien à faire, à part, pour les joueurs eux-mêmes, ne pas la ramener. Et je soupçonne un peu mes amis footeux de se dire dans leur petto que si ce n’est pas glorieux, c’est quand même bien que la France y soit. Ayant renoncé au patriotisme des stades depuis l’automne 1998, je reconnais que l’absence de la France en Afrique du sud comporterait en outre quelques bénéfices collatéraux, comme celui de réduire l’intensité du déluge médiatique pendant l’événement. Mais peu importe.
Mon cher Alain Finkielkraut qui ne peut se résoudre à lâcher l’équipe de France affirme que la seule solution décente serait de rejouer les deux matchs (aller et retour)[1. Il sera ce soir sur le plateau de Frédéric Taddéi sur France 3. Pour parler identité nationale, mais le foot en fait partie, non ?]. À Khartoum ? Non, Alain. La France ne doit pas aller en Afrique du sud. C’est la seule solution élégante.
Des cojones, les mecs ! Oui, chers Bleus (permettez que je vous appelle par votre petit nom), vous devez ignorer les pressions de vos sponsors et les suppliques de vos supporteurs. D’ailleurs, les Français sont d’accord avec moi, le silence glacial qui a accueilli le faux but l’atteste mieux que tous les sondages : non seulement, on n’est pas manchots en matière de foot (tous arbitres !) mais en plus, on n’est pas malhonnêtes. On préfère la défaite au déshonneur.
Allez, les gars, du panache, de la classe, vous incarnez la France, que diable ! Refusez cette qualification mal acquise et rendez à l’Irlande la place qu’elle aurait pu gagner sur le terrain. Vous avez mal joué, soyez beaux joueurs. Je sais, on ne sait pas quelle aurait été l’issue du match sans cette égalisation volée. Vous n’aviez qu’à détromper l’arbitre hier, il aurait refusé le but. Vous auriez pu sauver l’honneur – et le match car le sentiment d’avoir bien agi aurait porté vos ballons dans les cadres adverses pendant les tirs au but. Vous auriez certainement gagné. À la loyale.
Prenez exemple sur vos adversaires. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces Irlandais perdent avec classe. Pas d’insultes ou de coup de boule, pas de magasins français saccagés à Dublin, pas de supporters molestés. Ils l’ont mauvaise, c’est sûr. Et ils ont raison. Mais ils le disent plutôt poliment.
Je vous assure, votre but volé, on n’en veut pas. Et il ne vous portera pas chance. N’allez pas en Afrique du Sud. De toute façon, vous perdrez.
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