Le regard libre d’Elisabeth Lévy
La une de L’Incorrect fait beaucoup jaser. Sous le titre « Les jeunes coupent le cordon », trois jeunes gens, visiblement copains, se marrent: Guilhem Carayon, Stanislas Rigault et Pierre-Romain Thionnet, respectivement responsables jeunes de LR, de « Reconquête ! » et du RN. Si l’entretien n’est pas encore disponible en ligne, le message est clair: chez les jeunes, l’union des droites a déjà eu lieu ! Cette jeunesse décomplexée se parle, se côtoie, festoie ensemble sans se soucier des frontières partisanes et des haines recuites de ses chefs. « J’espère que nous combattrons ensemble », déclare notamment Thionnet.
Sans surprise, cette photo a suscité les cris d’orfraie des néo-chiraquiens de LR qui croient, ou feignent de croire, qu’il y a un mur infranchissable entre ce qu’ils appellent l’extrême droite et eux, droite autoproclamée républicaine c’est-à-dire fréquentable. Par exemple, François Durovray, président du Conseil départemental de l’Essonne, somme Eric Ciotti de démettre le jeune Carayon, coupable de crime de dialogue. Preuve que la gauche n’a pas le monopole du sectarisme.
Faut-il y voir la preuve que la diabolisation marche toujours?
Non. Ou plutôt, elle marche encore un peu pour Eric Zemmour, car là, les médias ont mis le paquet. Pour le RN, la diabolisation relève aujourd’hui du rituel, de l’incantation vaudou ou de la pensée magique. Quand Olivier Dussopt, le ministre du Travail, a affirmé, lors des discussions sur la réforme des retraites, qu’à l’Assemblée les élus RN avaient été plus républicains que les Insoumis, on a entendu des réactions outragées, comme s’il avait dit qu’Hitler était un chic type. Mathilde Panot a tweeté gravement : «La honte». Plus personne ne croit à cet antifascisme d’opérette (car il n’y a pas de fascistes en vue), ni au cordon sanitaire qui allait avec.
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Pour la majorité des Français, le RN est un parti comme les autres. S’ils ne votent pas pour Marine Le Pen, c’est parce qu’ils n’aiment pas son étatisme ou qu’ils doutent de sa compétence (quoique de moins en moins) : des raisons normales, banales. Mais, elle ne fait pas peur. D’ailleurs, au palmarès des politiques préférés du JDD, Marine Le Pen est numéro 2, entre Edouard Philippe et Bruno Le Maire. Pour le Times, grand quotidien à Londres, elle sera la prochaine présidente. Cela se murmure aussi à Paris, en une de L’Obs.
L’avancée silencieuse
Cette « avancée silencieuse » prouve une nouvelle fois que l’indignation morale est inopérante.
La première raison du succès de Marine Le Pen, c’est que ses adversaires lui ont fait cadeau du réel (l’expression est d’Alain Finkielkraut). Ils n’argumentent pas, ils agitent des gousses d’ail ou des croix. Depuis des années, ils s’enferment dans un déni sidérant : le niveau monte à l’école… l’immigration est une chance pour la France… et le grand remplacement un fantasme d’extrême droite. Ils ne veulent pas voir ce qu’ils voient, et ils nazifient ceux qui voient.
En 40 ans, ils ont ainsi réussi à faire passer le FN/RN de moins de 10% à plus de 40% des voix. Encore un petit effort, et ils amèneront Marine Le Pen à l’Élysée. Comme ça, pendant cinq ans, ils pourront jouer à la Résistance.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
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