Parmi les bienfaits que le monde doit à la France il y a le camembert, « numéro 5 » de Chanel, Rachida Dati, qui devrait entrer au Pavillon des Poids et mesures de Sèvres comme chipie-étalon, et la « primaire citoyenne » qui a fait souffler un vent de modernité sur la politique française. Et ce qui est moderne ne se discute pas.
La corporation journaleuse a finement observé que de Nadine Morano à Frédéric Lefèbvre, on avait commenté la « quinzaine socialiste » avec les mêmes mots – les fameux « éléments de langage ». Les confrères, eux, ont unanimement salué cette « belle leçon de démocratie », mais attention, ça ils l’ont trouvé tout seuls. Et quand on pense tous la même chose dans les mêmes termes, ce n’est pas un « élément de langage », c’est la vérité.
Je ne ferai pas ma grincheuse : la démocratie, je suis pour. À condition de ne pas en abuser. Ce n’est pas parce qu’on nous laisse choisir le socialiste que nous sommes priés d’élire en 2012 qu’il faut la ramener sur tout et n’importe quoi.[access capability= »lire_inedits »] Aussi la « belle leçon de démocratie » du Premier ministre grec a-t-elle été diversement appréciée par ses « partenaires » – façon de parler, car Nicolas et Angela sont désormais les « tuteurs » de Georges, chargés de gérer ses comptes en banque. Ce n’est pas qu’il soit gaga, mais c’est fou ce qu’il claque.
Il est gonflé ce Grec. On se saigne les veines pour lui, et il sort son peuple. Coup d’autant plus imparable qu’il est exclu de dire la vérité. On voit mal le Président de la République déclarer solennellement : « La décision du Premier ministre grec de consulter les citoyens est scandaleuse. S’ils nous envoient nous faire voir ailleurs que chez eux, ce qui est probable, je devrai expliquer qu’en grec « non » signifie « oui », merci du cadeau. » Le Président sait se tenir. En attendant, il avait sa tête des mauvais jours quand il a dit qu’il était toujours « légitime de donner la parole au peuple ». Si les Grecs persistent à l’ouvrir, ils auront droit au grand jeu. On les accusera de vouloir sortir de l’Histoire, comme pendant la campagne de Maastricht, mais encore de vouloir déclencher la troisième guerre mondiale. Il est même possible que ça marche.
L’ennui avec le peuple c’est qu’il peut dire ou faire n’importe quoi – ça c’est déjà vu. Au-delà du spectacle hilarant de la stupeur qu’elle a suscitée, l’initiative de Papandréou nous rappelle l’aporie structurelle de la démocratie : le peuple a toujours raison, même quand il se trompe. En effet, le gouvernement du peuple, c’est la loi du grand nombre, donc le triomphe de la moyenne, parfois de la médiocrité et presque toujours de la facilité. Autrement dit, alors que les gouvernants ne peuvent pas se passer du consentement des gouvernés, les gouvernés sont rarement enthousiastes pour payer plus d’impôts, percevoir moins d’allocations, instaurer une sélection à l’université ou bosser jusqu’à pas d’âge.
Et puis, ce n’est pas de sa faute, au peuple. Il paraît que depuis 30 ans, la droite et la gauche nous ont drogués à la dette. Salauds de dealers. Il serait odieux de rappeler que l’endettement a permis de financer tout ce que nous exigions d’avoir mais refusions de payer. Dès lors que l’Histoire et les forces productives progressaient de concert vers l’avenir radieux, « avoir plus » – d’argent, de vacances, de vie, de santé, de sexe – est devenu un droit de l’homme, et même un droit acquis. À crédit. Vieille histoire que celle des effets qu’on abhorre tout en en chérissant les causes.
On dira, et je l’ai souvent dit moi-même, que la régression n’est pas une fatalité et qu’une « autre politique » changerait le cours des choses. Sans doute, seulement les partisans de cette « autre politique » n’ont jamais été élus pour la mettre en œuvre. Reste que nous ne nous sommes pas émancipés de la transcendance divine pour nous soumettre aux diktats de la réalité. Je ne sais pas si le plan de Bruxelles est pertinent mais s’il est, comme l’a dit le Président, « la seule voie possible », s’il n’y a pas d’autre politique, il n’y a pas de politique du tout.
Dans ces conditions, il n’y plus qu’à amuser la galerie. L’unique raison pour laquelle l’UMP s’est finalement ralliée à l’idée de la primaire, c’est qu’elle avait permis au PS « d’occuper l’espace médiatique ». Occuper l’espace médiatique : telle est l’ambition ou l’obsession de ceux qui gouvernent ou aspirent à gouverner. La politique de la France ne se fait pas seulement à la corbeille, elle se fait à la télévision. Et on n’a encore rien vu. Notre avenir, je l’ai découvert sur France 3, dans une émission sur les humoristes et les politiques. « Voilà plus de 20 ans que vous vous attaquez aux puissants », s’exclama le présentateur en accueillant l’inévitable représentant des Guignols, tandis que sur l’écran s’agitait l’abjecte marionnette de DSK en satyre vêtu d’un peignoir léopard. Il faut croire que s’attaquer aux puissants signifie s’acharner sur un homme à terre. Et puis Jean-Louis Debré, le président du Conseil Constitutionnel, lâcha le morceau : « Je suis devenu un personnage politique important le jour où je suis entré aux Guignols. » Le règne des bouffons a commencé. Et ils ne sont même pas drôles. Ça valait le coup de guillotiner un roi.[/access]
Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.
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