Rédacteur dans de nombreux journaux parisiens et grand habitué des raouts parisiens, Jean-Kevin Le Baptiste, 24 ans, titulaire d’un master de sociologie sur Judith Butler et Boy George, auteur d’un mémoire intitulé « Homogynéphilie et parentalitude ou pourquoi l’homopolyparentalité est une chance pour l’enfant unique », militant surengagé d’« Agis Debout » et de « Terre Neuve », nous livre ici ses réflexions de citoyen intersexuel. Quelques mauvaises langues prétendent qu’il n’est qu’un artefact auquel le taquin Pierre Cormary ne serait pas étranger.
Je préfère le dire tout de suite et au risque de faire grincer des dents : moi, je suis dans la Vie, et pas chez pépé. Pasolini, « pédé martyr », j’en ai rien à foutre. En 2012, l’heure n’est plus à la subversion par des classiques- d’ailleurs surestimés – de la littérature et du cinéma gays mais à la réforme progressiste des sexes et des identités. L’homoparentalité, ç’a toujours été l’avenir. Et l’avenir, c’est maintenant. Et maintenant, c’est tout de suite.
Pour les gens de ma génération qui ont eu la chance de naître à mon époque et qui ont très vite pris conscience de tout le mal que le passé a pu faire aux hommes et aux femmes de bonne volonté, l’urgence a toujours été d’abolir définitivement les anciens paradigmes. Oui, je le dis avec mes mots à moi, ces mots de citoyen du monde dont vous vous faites des gorges chaudes à Causeur, mais le bien, c’est l’antiracisme, l’antiracisme, c’est le goût des autres, et le goût des autres, c’est la fête – cette fête à laquelle vous avez déclaré la guerre, on se demande bien pourquoi. Quant au mal, y a pas photo, ç’a toujours été le passé. L’Histoire nous montre que plus l’on avance dans le temps, plus la justice et l’égalité triomphent. Moyen Âge < Renaissance. Ancien Régime < Révolution. Droite < gauche. TF1 < MTV. Imparable. Avant, c’était la peine de mort, la colonisation, l’esclavage, l’Inquisition, l’homophobie, l’hypocrisie bourgeoise, la prostitution permise, l’ignorance des pauvres à cause des riches, et tout cette littérature soi-disant « géniale » qui ne faisait qu’entériner la fracture sociale et la culture des possédants, ces Balzac, ces Proust, ces Céline (un vrai salaud, lui) que des gens comme moi ont bien raison de trouver illisibles et pire – nocifs.
D’ailleurs, la littérature, dont les snobs réacs disent qu’elle sert à exprimer le « Tragique » du monde, moi, ça ne m’intéresse pas, et je pense que ça n’intéresse personne. Au contraire, je suis sûr que moins on fera d’œuvres tragiques, moins il y aura de tragique dans le monde. Logique. Comme il y en a qui sont ni Dieu ni maître, moi, je suis ni Bible ni Freud. J’aime mes papas, j’aime mes mamans, j’aime mes frères et soeurs, y compris quand ils sont ensemble (car pour nous il n’y a que l’amour qui compte, et le seul droit valable, c’est le droit de l’amour), personne n’a jamais voulu faire l’amour de force avec personne, et je peux vous assurer qu’on est d’accord tous les quinze pour dire qu’on n’a vraiment pas besoin de Sophocle, ni d’Eschyle, ni de Saint Paul, ni de Shakespeare, ni de Pascal, ni de Sade, ni de Lévi-Strauss ou d’Elisabeth Lévy pour comprendre la vie. Nous ne sommes pas pécheurs, nous ne sommes pas castrés, nous ne sommes pas sadiques, nous n’avons jamais compris pourquoi des fleurs pouvaient avoir un quelconque rapport avec le « mal », comme un poète d’extrême droite du XIXème s’est complu à le dire, nous emmerdons tous les Oedipe et tous les Job de la terre, nous ne croyons pas aux structures élémentaires de la parenté, et nous plaignons de tout cœur ceux qui respectent encore ce genre de balivernes ou de superstitions. Car heureux et innocents, oui, nous le sommes…
Alors que M. Leroy parle de Pasolini et de Jean Genet avec des trémolos dans la voix, c’est son affaire, mais il se plante complètement quant au statut de l’homosexualité d’aujourd’hui. Toutes ces idoles des années 70 nous apparaissent comme les idiots utiles du pouvoir judéochrétien, et qui sous couvert de « subversion » renforçaient le fascisme conservateur le plus inique. C’est la libération des gays qui nous importe, et non la subversion du système qui est toujours un truc de dandy. Et c’est pourquoi il est pitié de constater que cette foutaise intellectuelle qui veut que l’on accepte les homosexuels qu’à la condition qu’ils s’appellent Marcel Proust, Reynaldo Hahn, Jean Genet, Jean Cocteau, Fassbinder ou… Pasolini, autrement dit qu’à la condition qu’ils soient d’inoffensifs esthètes, a encore de beaux jours devant elle. L’homosexualité tolérée comme singularité d’intellectuel raffiné destiné à provoquer les conventions sociales, la voilà, la vraie, et la plus ignoble, homophobie. Et c’est pourquoi nous aurions largement préféré que les Burroughs, Proust, Cocteau, et autre Francis Bacon militent de manière responsable pour le droit au mariage et à l’adoption pour tous plutôt que perdre leur temps à faire de la provocation littéraire ou pictural avec leur cul, entretenant une guerre bien inutile avec les clercs et au fond les servant.
Alors, comme tout le monde, je l’ai vu, le Salo de Pasolini, et n’en déplaise à vous autres, les intellos des années 70 sur le retour et pour qui ce film est le truc « ultimate » de tous les temps, franchement j’ai trouvé ça gerbant de bien-pensance et de puritanisme larvé. Il n’y a vraiment que les bourgeois et les ringards pour s’exciter sur un machin pareil. Un film aussi laid, stupide, puritain, antisocial, antilibertaire, qui tourne en bourrique tout ce que la modernité a pu nous apporter, et qui passe pour un « chef-d’œuvre » de la dérangeance – moi, j’aimerais bien qu’on m’explique. Que nous dit en effet le Salo de Pasolini ? Que le fascisme était abominable ? Bien sûr. Sauf que le fascisme, pour Pasolini, c’est le produit de l’anarchisme. « Nous autres fascistes sommes les seuls véritables anarchistes » ose déclarer l’un des quatre libertins. Ca, c’est le raisonnement typique réac des ganaches de droite. Pas étonnant que Le Figaro aime… Dès qu’on leur promet un peu de liberté et d’hédonisme, ils y voient une menace de fascisme, les réacs !
Mais voyons la suite. Que penser de ce règlement des quatre libertins qui prévoit que « les plus petits actes religieux soient punis par la mort » ? Bon sang mais c’est bien sûr, le fascisme, pour ce monsieur Pasolini, c’est l’anarchisme plus l’athéisme ! En voilà une idée qu’elle est bonne ! Sérieusement, moi, rien que là, j’avais envie d’arrêter. Dans ce film, les victimes, ce ne sont pas les libres penseurs, ce sont les religieux, attends, mais on rêve complètement, là ? Le voilà donc le message « subversif » de ce cinéaste italien qu’on aurait pu penser plus ouvert d’esprit vu son orientation sexuelle, et paraît-il son « marxisme », qui défend la religion et fait passer des anticléricaux pour des salauds ? C’est le monde à l’envers, vraiment…
Et puis, ça veut dire quoi toutes ces scènes immondes ? « Le cercle des manies » ? « Le cercle de la merde » ? « Le cercle du sang » ? Que la sexualité libre entre adultes consentants est forcément quelque chose de répugnant et de violent – une descente aux enfers, c’est ça ? Que « la jouissance sans entraves », ça mène à bouffer ses propres excréments ? La libération sexuelle amalgamée à la merde, c’est ça la subversion de votre cinéaste pédé martyr ? Un contempteur des corps désirants ? Un répressif qui trouve à redire de l’idéal queer ? Non, ça pue la morale judéo-chrétienne tout ça. Et je passe sur la scène du concours du plus beau cul comme s’il avait voulu se moquer, trente ans avant, de la Starac ou de Secret story ! Ce n’est pas un crime de vouloir être le plus beau ou la plus belle que je sache, non ? Monsieur Pasolini, si vous avez un problème avec la jeunesse, il faut le dire !
Mais le pire, ce sont les mariages homosexuels que monsieur l’artiste filme de la manière la plus dégueulasse qui soit. Un mariage entre mecs qui s’aiment, ça doit avoir l’air aussi grotesque ? C’est là que Salo devient réellement un film homophobe tant le cinéaste s’acharne à nous dégoûter de ce que pourrait être l’union entre deux êtres du même sexe. Il rend hideux et abject ce qui devrait être la plus belle chose du monde : la possibilité pour tous de se marier avec tous, une forme d’amour cosmique quand on y pense. Désolant.
Quant au final immonde, je préfère ne pas en parler. Car les tortures qui font rire et jouir les quatre types et qu’on dirait que les quatre types c’est nous, c’est moi, ça, je n’accepte pas. Je n’accepte pas qu’un prétendu artiste me manipule de manière aussi grossière, je n’accepte pas qu’on se complaise à montrer le pire visage de l’humanité sous prétexte qu’il y a des fous qui ont fait ce genre de choses, je n’accepte pas qu’un cinéaste fasse du salaud son propre spectateur (un peu comme cet ordure de Stanley Kubrick l’avait aussi fait aussi avec son Orange infecte), je n’accepte pas enfin qu’on fasse d’une communauté gay un camp de concentration ! Et c’est exactement ce que fait ce film indigne.
Alors, avec ma tribu, mon copain, mon autre copain, et le copain de mon père, mais aussi avec avec ma mère, sa sœur et leur petite fille, nous lançons un appel à la vigilance culturelle et artistique et refusons de toutes nos forces citoyennes qu’on dise, comme dans le Salo de Pasolini, que le fascisme est athée, hédoniste, anarchiste, libéral et gay !!! Parce que le fascisme, c’est exactement le contraire !! Et nous espérons que ce film répugnant disparaîtra au plus vite des ventes et des écrans ! Car un cinéaste qui déclare, et comme nous pouvons le lire dans une vieille interview de 1975 contenue dans le livret du DVD, des choses aussi abjectes que : « Nous vivons dans ce qui arrive aujourd’hui, la répression du pouvoir tolérant (putain, j’hallucine !) qui, de toutes les répressions, est la plus atroce (non, mais vraiment n’importe quoi !) Il n’y a plus rien de gai dans le sexe (si, mes amis et moi, et on t’emmerde !!!) » ou que « les jeunes gens sont laids ou désespérés, méchants ou vaincus », ne fait rien d’autre qu’insulter la jeunesse, inciter à la haine et, pire que tout, mettre en branle ce qui n’est rien d’autre qu’une régression sociale et morale, et tout ça sous couvert « artistique ».
On savait que ce Pasolini avait osé dire, en plein 68, que les vrais prolétaires, ce n’étaient pas les étudiants qui lançaient des pavés mais bien les CRS qui les recevaient (faut-il avoir une haine de la vie pour préférer un flic à un djeun ?), on sait désormais que l’auteur de Théorème n’a jamais été qu’un ennemi du progrès des moeurs. Non, l’homosexualité n’est plus, n’est pas, n’a jamais été une singularité. Et pour pour nous, gays du XXIème siècle, il ne s’agit plus de provoquer la société, mais d’en être, au même titre que les hétéros. Et vous pouvez faire tout ce que vous voulez, nous en serons bientôt, car la science, l’éthique et les sondages sont de notre côté. Contre tous les « pasoliniens » du monde, nous apporterons bientôt du bonheur et de la candeur.
*Photo : ataferner.
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