Causeur : En Israël, la situation de tension qui règne à Jérusalem depuis des semaines suscite un vaste débat sur les responsabilités des uns et des autres. Qui a mis le feu aux poudres : la politique israélienne ou l’éventuel double discours de l’Autorité palestinienne ?
Nissim Zvili : Après un acte aussi horrible et inhumain que l’attentat de mardi dans la synagogue, les Israéliens ont traditionnellement tendance à aplanir les problèmes. On dit que l’heure n’est pas à la discussion, on attend que le temps passe, on oublie et on évite le vrai débat : l’avenir de Jérusalem et d’Israël. Mais si on veut avoir le courage de faire face à la réalité, il faut reconnaître que de facto Jérusalem n’a jamais été unifiée, n’est pas unifiée et ne sera jamais unifiée. Tant qu’on ne comprend pas cette réalité, on arrive à des conclusions totalement erronées. Aujourd’hui, on commence à payer le prix des erreurs commises par tous les gouvernements israéliens depuis la guerre des Six-Jours. Tous se sont illusionnés en pensant qu’on pouvait obliger 300 000 palestiniens à devenir des citoyens israéliens et qu’on pouvait contraindre les Palestiniens à vivre dans une ville divisée aux niveaux politique et municipal. Il y a un écart incroyable entre les services municipaux fournis aux quartiers juifs et ceux fournis aux quartiers arabes annexés ! Bien sûr, les tensions ne sont pas de la seule responsabilité d’Israël, et je pourrais parler deux heures entières des décisions et discours palestiniens. Mais la ville et la population de Jérusalem se trouvent sous notre responsabilité. C’est donc à Israël de prendre des décisions qui s’imposent.
Causeur : La situation que vous décrivez ne date pas d’hier puisque Israël a récupéré la partie orientale de Jérusalem en 1967. Peut-on dissocier la question de Jérusalem de celle plus large des Territoires palestiniens (Cisjordanie et bande de Gaza) ?
On ne peut pas séparer complètement ces deux sujets. À Jérusalem comme dans les Territoires palestiniens, le conflit a pris un tour plus religieux que politique. C’est un tournant très inquiétant que de voir se former une guerre entre juifs et musulmans qui risque d’avoir des conséquences sur le monde entier. Aussi j’espère que les parties israélienne et palestinienne vont s’efforcer d’enrayer cette dérive. Jusqu’ici, les deux côtés ont manqué de volonté pour relancer le processus de négociation. Cela fait des années que l’on patauge et s’enfonce dans la boue. Et je trouve les discours des hommes politiques israéliens effrayants. Ils n’ont pas tiré les leçons de ce qu’il s’est passé depuis l’opération militaire de cet été dans la bande de Gaza. Ils croient toujours que la solution passe par la force, à Jérusalem, dans les Territoires ou à Gaza. Or, une telle solution n’existe pas. Maintenant, il faut prendre une décision : soit on va vers un Etat binational avec toutes les conséquences que cela comporte, soit on mène des négociations sérieuses au cours desquelles on devra faire des concessions très douloureuses pour séparer les deux peuples.
Causeur : La reconnaissance d’un Etat palestinien par la communauté internationale est-elle de nature à relancer le processus de paix ? Votre prédécesseur Elie Barnavi soutient cette initiative afin de sortir du face-à-face stérile entre Netanyahou et Abbas. Qu’en pensez-vous ?
En accusant en permanence Mahmoud Abbas d’inciter à la violence, Israël commet une erreur à dessein : montrer qu’il n’y a pas de partenaire palestinien. Le gouvernement israélien essaie de le délégitimer, tant vis-à-vis de son peuple que de la communauté internationale. S’agissant de la reconnaissance d’un Etat palestinien, je me suis rallié à la position d’Elie Barnavi. Sans intervention internationale massive, les deux côtés ne pourront pas arriver à une solution politique. Je suis arrivé à cette conclusion à force d’observer la politique du gouvernement israélien : cela fait six ans que ce cabinet de droite ne nous mène nulle part, et le terrorisme est en train de relever la tête. Au lieu de condamner les décisions des parlements européens, je les encourage à reconnaître l’Etat palestinien car Israël doit comprendre qu’il ne vit pas isolé. Notre pays veut bien appartenir à la communauté internationale et en retirer tous les avantages, mais Israël est le premier à ne pas en respecter les décisions et les résolutions. Je ne sais pas si la communauté internationale peut imposer une solution directement mais il est certain que son indifférence à l’égard de ce conflit a eu des effets déplorables.
Causeur : L’opinion israélienne est-elle disposée à élire une nouvelle majorité afin de relancer le processus de paix ?
Non, car une grande majorité de la population juive d’Israël soutient les positions du gouvernement de Benyamin Netanyahou. En quelques années, la droite et l’extrême droite israélienne sont parvenues à convaincre une grande majorité de mes concitoyens qu’il n’y a pas de possibilité de faire la paix, qu’on est obligé de continuer à occuper les Territoires et d’entrer dans des tranchées. Les gens se sont progressivement laissé gagner par le désespoir, à mesure que les gouvernements successifs, à commencer par le cabinet d’Ehoud Barak (1999-2001) leur répétaient qu’ils n’avaient pas de partenaire pour la paix. Il y a encore deux ans, l’idée de deux Etats séparés était nettement majoritaire dans l’opinion israélienne, ce dont je ne suis aujourd’hui plus sûr du tout.
*Photo : APA IMAGES/SIPA. 00688420_000016.
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