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Pour la pénalisation de cette putain de vie?


Pour la pénalisation de cette putain de vie?

343 salauds taubira

Cela atteint un comble, cela devient franchement ridicule.

La France est dans une effervescence, un désordre, une revendication tels qu’on se demande s’ils n’expriment pas d’abord un besoin pulsionnel et collectif de protester, de dire non avant d’être inspirés par une opposition politique et sociale précise. Un refus qui est devenu quasiment sa propre finalité. C’est ce pouvoir qui est visé, pas ce qu’il accomplit ou non.

On aurait pu tout attendre dans une telle atmosphère sauf l’irruption, dans l’espace public, de débats outranciers, odieux ou totalement décalés ou inadaptés.

Depuis deux semaines, le racisme manifesté ici ou là à l’encontre de Christiane Taubira a prétendu, comme elle l’a très bien dit, l’exiler de la famille humaine à cause de comparaisons bestiales dont je ne doute pas qu’elles aient traumatisé ses enfants. Fallait-il cependant si tardivement – remords pour n’avoir pas réagi assez quand c’était nécessaire ? – tomber dans le ridicule de cette pétition à l’initiative de Jeanne Moreau : « Nous sommes tous des singes français » (JDD).

Ces racistes imbéciles, par leur attitude, ont fait qu’on n’examine plus la pratique – ou l’absence d’action – de la garde des Sceaux pourtant sévèrement blâmée par l’Union syndicale des magistrats lors de son congrès. Toutefois ce syndicat, l’an dernier, était aux anges à l’idée de pouvoir collaborer avec ce ministre avant qu’elle privilégie le Syndicat de la magistrature pour les postes et les commissions (Le Monde).

Surtout, alors que la République manifeste son désarroi et se révèle incapable de répondre au défi de l’essentiel qui met notre pays et son avenir en péril, l’accessoire est promu comme une préoccupation fondamentale.

En effet, le 27 et le 29 novembre, l’Assemblée nationale débattra d’une proposition de loi prescrivant la pénalisation des prostituées et des clients ayant recours à leurs services. Pour ceux-ci, une amende de 1500 euros doublée en cas de récidive.

Sur une idée de Frédéric Beigbeder, la pétition « Touche pas à ma pute » rédigée par Elisabeth Lévy, signée par les « 343 salauds » et fortement relayée par Causeur a dénoncé cette démarche parlementaire en invoquant la liberté des adultes : prostituées et clientèle. Certains des signataires se sont rétractés, se sont dit manipulés ou trompés. Nicolas Bedos s’est illustré en se défaussant dans une posture qui ne faisait pas honneur à sa constance et à son courage : Frédéric Beigbeder ne s’est pas gêné pour vertement le lui reprocher.

A l’émission de Frédéric Taddéï, Elisabeth Lévy aux côtés d’un philosophe signataire a tenu vaillamment la dragée haute face à des contradicteurs qui en substance justifiaient la pénalisation projetée au nom de la morale, de la contrainte pesant sur les prostituées et de la pureté sociale.

Une autre pétition à l’initiative du chanteur Antoine a été lancée . Elle a recueilli l’assentiment d’un certain nombre de personnalités dont par exemple Catherine Deneuve.

Ce document, dont Antoine évidemment souligne qu’il n’a aucun rapport avec le texte d’Elisabeth Lévy – il faisait pourtant partie initialement des signataires de celui-ci -, mentionne que « sans cautionner ni promouvoir la prostitution, nous refusons la pénalisation des gens qui se prostituent et de ceux qui ont recours à leurs services et nous demandons l’ouverture d’un vrai débat sans a priori idéologique » (20 minutes).

Quelle que soit la volonté des rédacteurs de ces deux pétitions, leur finalité est la même : mettre en cause la teneur de cette proposition de loi.
Il est peu contestable que celle-ci s’inscrit de manière surprenante dans un contexte qui imposait d’autres priorités et d’autres urgences.
Sur un plan technique, on peut craindre que la répression nécessaire des trafics, des réseaux et des proxénètes, bien loin d’être facilitée par la pénalisation des clients, soit au contraire négligée au profit de cette nouvelle piste apparemment plus évidente mais dont on perçoit mal comment elle pourra être aisément opératoire pour l’interpellation des « consommateurs ».
Plus profondément, même si ce n’est pas l’hétérosexualité qui est la cible pour cette pénalisation comme le prétend Philippe Caubère, il y a tout de même, derrière ce processus gonflé d’éthique et de dignité, une aspiration dangereuse à quadriller, à maîtriser et à purifier ce que l’humanité, dans son inventivité et sa liberté, est capable de faire et de secréter – notamment ces humains qui, contre rétribution, bénéficient du corps et des services sexuels de femmes.

Même si, dans leur discours habituel, les prostituées dénient être asservies à des hommes qui les auraient contraintes et dominées, il n’empêche que l’univers mêlant la disponibilité de ces femmes et le désir de ces clients va bien au-delà de l’opposition simple, voire simpliste entre des esclaves d’un côté et des salauds de l’autre – il est nourri, irrigué et troublé par une infinité de sensations, de peurs, d’humeurs, de nostalgies, pétri de délicatesse comme de vulgarité. Chairs offertes et interdites. Audaces et apparences ostensibles, trop présentes. Tentations si irréfutables qu’on est gêné de banalement y succomber.

Ce monde a des frontières floues et est délimité par les songes et les tremblements autant que par les trottoirs de certains quartiers. Punir les hommes pour sauver ces femmes ? Le moralisme probablement veut tout ignorer des premiers comme des secondes. Il convient que le lisse l’emporte.
Cette proposition de loi, derrière son apparence de pureté intégriste, a pour but de s’immiscer dans un royaume sordide ou somptueux qui en réalité ne la concerne pas et sur lequel, avec de « gros sabots » parlementaires, elle ne peut avoir qu’une influence à peu près équivalente à nulle.
Qu’on continue de la sorte.

Moins l’Etat sera à même d’assurer ses missions dans ce qu’elles ont de capital et de prioritaire, plus il s’abandonnera, directement ou indirectement, à des tâches périphériques, à des chemins de déviation, de dérivation.

Je crains le pire. Bientôt l’homme qui vit, qui respire, qui pense, qui s’émeut, qui a des pulsions, des fantasmes, qui a envie de faire l’amour et qui n’est pas programmé de manière prévisible et irréprochable pour le destin auquel les humanistes patentés et les intégristes de la rectitude voudraient le soumettre – bientôt cet homme fera l’objet d’une proposition de loi, pire d’un projet de loi.

En effet, pour notre monde malade de l’aspiration à une béate santé, comment ne pas pénaliser ce risque infini porté par le souffle de l’existence, comment ne pas pénaliser cette putain de vie ?

*Photo : ERIC BAUDET/JDD/SIPA. 00669559_000005.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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