Entre plaidoyer nostalgique et colère argumentée, l’écrivain Christian Authier se souvient d’un service public qui faisait jadis l’identité de notre pays
Il fallait que ce soit un fils de postier devenu écrivain qui s’y colle. Défendre, se souvenir, rappeler les étapes d’une longue désagrégation, évoquer la poétique de la carte postale et la mystique du facteur, la performance du courrier à J+1 et la philatélie comme passion nocturne française. Et puis, il y eut l’ouverture à la concurrence, les directives européennes, le flou juridique sur le statut, la privatisation qui ne dit jamais son nom et cette technostructure qui abat les chênes en feignant d’œuvrer pour le bien commun. La réorganisation permanente et la pression managériale firent le reste, dénaturer, détricoter et défaire un « trésor » national.
La Poste: symbole du sacrifice de la France d’avant
Si bien qu’il est difficile de reconnaître notre Poste mythifiée, les 4L fourgonnettes jaune paille de nos campagnes, les merveilles du calendrier, une rigueur et une régularité qui firent dire à Gabin dans « Le Cave se rebiffe » que le monde nous enviait cette admirable administration nommée PTT. Donc, c’est un enfant de la Poste qui a travaillé au cœur de la bête durant ses vacances, du tri à la distribution, au contact direct de ses ex-agents publics et qui a suivi l’assèchement et la perte de sens d’une entreprise emblématique de notre paysage. Enlevez la Poste de notre décor, et c’est un peu de France qu’on sacrifie sur l’autel d’une modernité mortifère. Tout le monde y est allé un jour, a pesté dans la queue, a même maudit ces « fonctionnaires », quelques blagues circulaient sur leur peu d’entrain à travailler, mais globalement nous avons été satisfaits du service rendu. Un maillage extraordinaire du territoire, une présence humaine qui ne se monétise pas ; du liant, du lien, de l’entraide, le même traitement dans un village de Haute-Corse que boulevard Raspail, une forme de citoyenneté souterraine qui conditionnait ce fameux « vivre ensemble ».
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Kafka revu par les Monty Python
Alors, qu’elle ne fut pas notre surprise, de débarquer un jour, dans un bureau au milieu des automates et d’une marchandisation à outrance, sous les injonctions d’une novlangue digitalisée et la politique du chiffre, nous souhaitions seulement poster une lettre, envoyer un livre à nos parents en province ou répondre à une carte de vœux. La machine commerciale, harceleuse et déshumanisante, se mettait en place. Nous l’avions vue à l’œuvre ailleurs, dans la grande distribution, l’optique ou la téléphonie. Dans Poste restante aux éditions Flammarion, Christian Authier fait un état des lieux, son constat est implacable, il est parfaitement argumenté, sa plume oscille entre une douce mélancolie toulousaine et le vitriol quand il s’agit d’expliquer la mécanique du désenchantement. A propos des réorganisations incessantes, il écrit : « C’est Kafka revu par les Monty Python. Le monde réel et la raison s’évanouissent dans l’abstraction et dans des projections folles qui visent des objectifs irréalisables ». Il enfonce le clou : « La ruse ou le génie du capitalisme, selon le point de vue, consiste à faire basculer dans le domaine marchand des choses qui ont toujours été gratuites ». La mort du timbre rouge au 1er janvier 2023 a été le coup de grâce. Authier n’est pas un révolutionnaire à la petite semaine, plutôt un observateur attentif et triste du désastre en marche, doublé d’un écrivain sensible. Il l’aime sa Poste d’hier qui ne cherchait pas à gagner un petit sou de plus comme dans « Le Sucre » de Jacques Rouffio. Il s’appuie sur l’Histoire de cette grande maison, de Louis XIV à l’Aéropostale, pour nous alerter et nous interroger sur les dérives libérales à la manœuvre. Il replace la Poste au centre du village. Quand elle vient à disparaître, c’est toute l’architecture locale, économique et sociale, politique et presque métaphysique qui vacille et nous fait basculer dans une autre société, celle de l’errance numérique. Dans un pays qui voit son école et son hôpital péricliter, l’espacement des tournées du facteur est un nouveau signe de déclassement.
Une administration de la mémoire intime
Authier retrouve des couleurs lorsqu’il évoque les timbres illustrés et fustige leur « quasi-disparition ». « Les timbres et les flammes enjolivaient un objet quotidien, pouvaient susciter l’éveil et la curiosité. La valeur d’usage ne méprisait pas une forme d’éducation populaire, modeste et réelle » écrit-il. « L’enlaidissement du monde dans lequel nous vivons n’est pas anodin », conclut-il. Nous avons tous un rapport presque intime avec cette ex-administration, après avoir lu cet essai, je n’arrive pas à me défaire d’une image, celle d’une employée des Postes incarnée par l’actrice Margot Abascal (trop rare) dans « Promotion canapé » qui jouait l’érotisme chaste à l’écran avec une vérité qui m’émeut encore.
Poste restante de Christian Authier – Flammarion