Portugal, ma dernière révolution


C’était un mercredi. En ce temps-là, il n’y avait pas de chaîne d’information en continu, on ne se sentait pas obligé de s’infliger Bruce Toussaint, Christophe Barbier et Arlette Chabot en prenant son café. On allumait la radio. Le 21 avril 1967, les nouvelles avaient été mauvaises. Coup d’état militaire d’extrême droite en Grèce. Le 11 septembre 1973, Pinochet au Chili. Franco, increvable allait à pied à l’hôpital. Ce matin du 25 avril 1974, quelques informations floues. Il semblait se passer quelque chose au Portugal. Des soldats dans les rues, des points stratégiques occupés par des chars, beaucoup de confusion. Immédiatement l’inquiétude. Des militaires ? Ça y est, ça recommence. Ils sont sortis de leurs casernes pour maintenir cette vieille et féroce dictature qui enferme ce pays depuis tant d’années. Et puis, au fur et à mesure du déroulement de la journée, les choses prennent un tour bizarre. Les communiqués lus à la radio annoncent le rétablissement de la démocratie. Les rues s’emplissent de manifestants qui acclament les militaires. L’armée encercle le siège de la PIDE police politique abhorrée. Les dirigeants de la dictature sont arrêtés. Il faut se rendre à l’évidence, surmonter son incrédulité, sa méfiance vis-à-vis des militaires. L’armée portugaise vient de mettre à bas une des plus vieilles dictatures d’Europe. L’armée !

Le soir, les premières images de ces foules en délire. De tous ces œillets déjà brandis. De la « une » du Diario de Noticias barré d’un énorme « Golpe militar ». De ces capitaines en treillis recevant la reddition des maîtres de la veille. Avril 1974, c’est la France de l’Union de la gauche, du Programme commun. Georges Pompidou vient de mourir et le candidat de cette gauche unie peut l’emporter aux présidentielles. Nous sommes jeunes, nous croyons dur comme fer qu’on va changer la vie. Cette révolution des œillets est un énorme choc, qui provoque une véritable euphorie. On connaît bien en France les militants du Parti socialiste et du Parti communiste portugais qui, exilés chez nous, s’expriment souvent dans un français parfait teinté de cet accent chuintant inimitable. Il faut y aller avec eux qui peuvent enfin rentrer. Être là-bas le 1er mai. Pour la fête qui se prépare.

Ce furent des jours, des semaines et des mois merveilleux. Un moment de grâce, de communion. Un pays magnifique enraciné dans l’Histoire, un printemps radieux, un peuple singulier, resté intact sous le couvercle de cette dictature cinquantenaire. Il y avait de la fraternité, il y avait de l’espoir. Et c’était à des militaires qu’on le devait.

Le réel a repris ses droits. C’était il y a quarante ans, aujourd’hui, c’est de l’Histoire. Celle du monde d’avant. Ce fut aussi un peu la nôtre. Grandola vila morena…

Extrait du film Capitaines d’Avril de Maria de Medeiros (1999)



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