Avec L’Amour de la lecture, Frédéric Ferney célèbre les livres comme les derniers refuge de l’homme libre. Un essai bref et lumineux.
Notre cher Frédéric Ferney nous offre un de ces petits livres brillants qui se révèlent, à la longue, des vade-mecum pour gros temps. Il est bon, parfois, de faire le point sur cette pratique de plus en plus scandaleuse, secrète, jouissive et mélancolique : la lecture. Ferney est l’homme idéal pour cela parce qu’il sait, sans pour autant virer réac, que la météo n’est pas favorable : « Non, ce n’était pas mieux avant, c’était juste un autre pays ».
Ce qui est certain, c’est que la lecture, pour Ferney, a l’avantage d’échapper à tous les pouvoirs, qu’elle est l’exercice d’une liberté inaliénable, qu’elle est, à une époque où se généralisent les écrans, le seul moment où l’on peut produire des images mentales qui n’appartiennent qu’à nous. Seule analogie possible pour parler de la lecture, la prière : « Lire, c’est prier dans le désert, faute de savoir crier ». Ce retour sur soi est suspect par essence. On subit une métamorphose, le lecteur, c’est Grégoire Samsa, premier choc de lecture pour l’élève Ferney, quand un instituteur imprudent lit les premières lignes du récit kafkaïen à la classe.
C’est que, pour lire, il faut un corps. C’est important, le corps en ce moment : on ne parle que de lui pour mieux le refouler. Alors, logiquement, Ferney qui fait de ce livre également un autoportrait de l’écrivain en lecteur, observe le corps des autres lecteurs. Il y a ainsi des pages délicieuses sur cette jeune fille qui lit sur une plage : « Lire, c’est quitter son corps et respirer dans le corps d’un autre. Le principal mode d’évasion – le seul permis en prison ».
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La lecture, c’est aussi la mémoire, que Ferney définit bien joliment comme une « espionne du cœur ». Attention, par forcément la mémoire de ce qu’on lit mais aussi la mémoire des circonstances d’une lecture. C’est le double effet de la littérature : l’évasion parfaite, mais aussi les retrouvailles avec sa propre histoire, ses propres souvenirs. On trouve ce phénomène aussi bien chez Perec que chez Proust.
On ne trouvera pas cependant dans L’Amour de la lecture des conseils pour une bibliothèque idéale. Certes, à la fin du livre, il y a de bien jolis morceaux de bravoure sur « Molière amoureux », sur Conrad et la peur, sans compter un délicieux entretien imaginaire avec Philip Roth et une très émouvante lettre que Camille Claudel aurait pu, ou aurait dû écrire à son frère Paul : « Sous ton meilleur jour, tu es du côté de ceux qui ont un cœur et de grosses mains. Moi aussi, mais les miennes sont plus petites. Tu réclames ta part, celle du lion. » Certes, notre cicérone littéraire s’inquiète de la disparition précoce – dès la fin du Moyen Âge– du merveilleux dans la littérature française qui ne nous laisse plus que le choix « entre Sade et l’Oulipo : jouir, en parler ; parler, en jouir – puisque tout est langage ».
Mais le vrai propos de Frédéric Ferney est ailleurs : parce qu’il fait voyager, parce qu’il change notre rapport au monde, parce qu’il offre, à portée de main, la possibilité de toutes les sécessions heureuses, il prouve que l’amour de la lecture, au bout du compte, c’est l’amour tout court.
Frédéric Ferney, L’Amour de la lecture, Albin Michel, 2022.