Tout le monde le dit, ici Le Figaro, là Le Monde et notre président aussi : « Aujourd’hui, la pornographie a franchi la porte des établissements scolaires comme naguère l’alcool ou la drogue. Nous ne pouvons pas d’un côté déplorer les violences faites aux femmes et de l’autre, fermer les yeux sur l’influence que peut exercer sur de jeunes esprits un genre qui fait de la sexualité un théâtre d’humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes. »
Il faut protéger les enfants de la pornographie en raison, notamment, de l’image dégradée de la femme que véhiculent ces images. Quelle drôle de raison ! Et si l’on suscitait des images pornographiques valorisant et même survalorisant la femme, la pornographie deviendrait-elle acceptable pour les enfants ? Superwoman ramollissant Rocco Siffredi, ce serait mieux ? De toute façon, si on peut trouver que la femme est dévalorisée dans ces spectacles, l’homme lui-même, transformé en perforateur mécanique a plus l’air d’une brute que d’un homme. L’argument de la violence, en revanche, est meilleur. Il faudra y penser.
La sexualité, par essence, est cachée
La pornographie donne de l’humanité une vision animale, pré-humaine. Elle déshumanise, au sens propre. Elle ôte, à la sexualité, l’humanité qu’un long processus de civilisation a réussi à y mettre, et ramène l’homme à son statut initial de prédateur.
Mais… n’y aurait-il pas place pour de la pornographie respectueuse de la dignité humaine mettant en scène jeune fille chlorotique et gentleman qu’au nom d’une éducation à la réalité, on pourrait montrer aux enfants ? Eh bien… non. Ceux qui, comme Libération suggèrent que… après tout… pourquoi pas… se trompent et peut-être même nous trompent. Après tout, ils ne seraient pas les premiers à tenter de mettre les enfants dans les jeux sexuels des adultes tout en se défendant de toute pédophilie.
La pornographie, qu’il ne faut peut-être pas condamner pour cela, consiste à montrer la sexualité de la manière la plus crue, la plus débarrassée de tout élément de civilisation avec pour seule limitation de ne pas tomber sous le coup de la loi. La pornographie, c’est forcément du brutal, sinon, elle n’est rien. De plus, elle ne se borne pas à montrer la sexualité, elle en fait un spectacle, elle la monte en performance, ce que par nature, elle n’est pas. Car par nature, il n’y a de sexualité que retirée de la scène. En peine lumière, si on aime, mais hors de toute vue, à l’exclusion de tout spectateur. Même les peuples qui vivent nus ne pratiquent jamais la sexualité sur la place publique. Aussi pour montrer la sexualité dans son humanité, faudrait-il la montrer cachée, ce qui reviendrait à ne pas la montrer mais seulement la suggérer.
« Plug anal » et « vagin de la reine »
Mais… et l’œuvre d’art ? La si bien nommée licence artistique ? Là encore, non. On peut rappeler Malraux, qui explique que le sentiment du beau n’est pas compatible avec l’excitation sexuelle et que ce qui tue l’art, dans la pornographie, ce n’est pas la sexualité elle-même, mais son déferlement. Aucun puritanisme là-dedans, seulement le fonctionnement de l’appareil mental de l’homme dans lequel les émotions fortes empêchent la survenue du sentiment de beauté. Là non plus, ce n’est pas une raison pour interdire la pornographie, mais c’en est une pour en protéger les enfants même sous couvert d’art. Et d’ailleurs on voit d’autant moins pourquoi il faudrait accorder à l’art une dérogation à la protection de l’enfance puisque l’excuse de la bonne foi ne peut plus servir. Lorsqu’on expose un « Vagin de la reine » (Anish Kapoor, 2015) dans les jardins du château de Versailles, ou le « Tree, Plug anal » (Paul McCarthy, 2014) place Vendôme, ou lorsqu’on fait commencer un film comme celui de Gaspar Noé (Love), on sait ce qu’on fait et ce qu’on fait n’est pas pour les enfants.
Mais laissons les « artistes » faire ce qu’ils veulent, par exemple tenter de renverser ce qu’ils croient être un ordre moral. Laissons-les croire également au caractère subversif de leurs gesticulations savantes, alors qu’ils ne font que céder à de nouvelles conventions, mais ne nous croyons pas obligés d’y exposer nos enfants et souvenons-nous que Platon excluait les artistes de sa République idéale. Ce n’était pas sans raisons.
La sexualité directe est toujours un traumatisme pour l’enfant
Si les enfants ne doivent pas être exposés à la pornographie, ce n’est pas par moralisme, et c’est encore moins par féminisme, mais seulement parce que la représentation directe de la sexualité en action est, tout simplement, pour eux, pathogène. Sur le coup, on a l’impression que les enfants encaissent très bien ce qu’ils voient, car ils ne bronchent pas. Mais les psychologues constatent toujours que, malgré un certain quant-à-soi, les enfants en sont profondément et durablement marqués, souvent même pour la vie. Le surgissement de la sexualité directe est toujours, pour eux, un traumatisme qu’ils ne surmontent pas toujours.
Et pour les enfants plus grands, les adolescents, la pornographie présente une sexualité détachée de son contexte humain, sentimental, pour les hommes comme pour les femmes. Certes la sexualité réelle peut-être vulgaire, brutale, animale, mais est-ce là une éducation ? Que des adultes s’amusent à régresser, pour un temps, dans l’échelle biologique, pourquoi pas, mais ici il s’agit d’enfants en formation. Le but est de les faire accéder sans trop de dommage à la liberté adulte, dont la sexualité humaine.
Il est inutile d’interdire la pornographie
Car la sexualité humaine ne peut se comparer à la sexualité animale. Elle en diffère profondément, comme la psychanalyse freudienne la bien montré. On en rappelle les thèses ? Bon, mais vite, alors. D’abord, la libido apparaît avant même que l’appareil génital qui lui donnerait sens soit mature. Pour cette raison l’enfant est un pervers polymorphe qui doit apprendre à surmonter les phases primitives de la sexualité (orale, sadique-anale, phallique, enfin génitale). Cette évolution est périlleuse et se bloque très facilement à telle ou telle étape. De plus, il existe une phase appelée phase de latence, de six à douze ans, durant laquelle la libido s’atténue. C’est pendant cette phase que l’éducation a le plus d’effet et c’est donc pendant cette phase qu’elle serait la plus compromise par la pornographie. Ne développons pas davantage. Il faut empêcher le spectacle de la sexualité crue de venir perturber le développement des enfants.
Alors que faire ? Commençons par écarter les solutions habituelles, comme d’interdire les sites concernés. Ce serait vain parce qu’il est très facile de contourner cette interdiction en changeant le DNS (domaine name serveur) du fournisseur d’accès pour un autre non censuré, celui de Google (adresse : 8.8.8.8), par exemple. Il ne faudra pas 24 heures aux enfants et aux adolescents pour savoir comment faire, par exemple en tapant dans son moteur de recherche la formule magique : changer DNS. Quant aux logiciels de contrôle parental, outre leur faible efficacité, ils sont très faciles à contourner et dans les cours de récréation, on s’échange les meilleures astuces.
Le premier filtre, les parents
Ce qui peut surprendre, ce qui doit surprendre, c’est que les solutions envisagées sont toujours techniques ou judiciaires. Jamais – à l’exception notable du discours de notre président cité plus haut – on ne fait appel aux seules personnes qui pourraient venir à bout de ce problème : les parents. Et pourtant, les parents sont la seule solution. Il suffirait d’attirer leur attention par toutes sortes de voies médiatiques sur ce qu’il convient de faire. D’abord parce que les parents ne sont pas au courant. Parce qu’elle est réputée malsaine, ils n’imaginent pas que leurs enfants en soient hantés. Ensuite parce qu’ils ont peur d’être des « pères la pudeur », enfin parce que si la sexualité s’étale partout c’est sans doute parce que c’est une bonne chose ! On ne veut pas être décalé.
La solution, car il n’y en a qu’une, est pourtant simple : ne jamais laisser un enfant, jusqu’à la puberté, consulter internet seul dans sa chambre. L’ordinateur ou la tablette ne doivent être consultés qu’au vu de tous, au vu des parents, notamment. Pas de smartphone trop tôt, rien qui puisse permettre d’aller sur les sites pornographiques à l’insu de tous.
Impossible ? Mais si, bien sûr, c’est possible. Il suffit de ne pas céder aux marchands d’iPhones et de penser vraiment au lieu de « penser différent ».
Pas de réseaux sociaux non plus avant un certain âge et dans tous les cas, il faut disposer des codes d’accès et contrôler souvent. Tous les jours.
Mais si on ne fait jamais appel aux parents, c’est, il faut le craindre, probablement parce que l’éducation des enfants est en voie de devenir un monopole d’État.
Quant au féminisme qui s’empare de la question de la pornographie, ce n’est certes pas pour résoudre ce problème, mais plutôt pour faire avancer l’immense entreprise de culpabilisation de l’homme mâle à laquelle notre « modernité » se consacre de toutes ses forces. En vain, évidemment.
Et comme nous sommes les bons copains de nos copines, nous ne leur demanderons pas pourquoi elles se sentent si mal devant la pornographie… et nous ne leur dirons pas non plus pourquoi nous n’achetons plus que des serpillières Spidex de Spontex.
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