Yvette Horner. Son simple nom fait résonner un son d’accordéon. La musicienne populaire est décédée, hier, à l’âge de 95 ans. Elle incarnait la joie, la simplicité, cette France qui n’a pas honte d’être d’en bas.
En France, le mot « populaire » fait ricaner. Il est prononcé avec une condescendance qui met mal à l’aise. Il est raillé par des élites déconfites qui le transforment en un populisme, forcément obscur et rance.
Populaire, populaire…
Les sondeurs en ont la frousse. Tout ce qui est « populaire » étant instable et inflammable, par nature. Les journalistes l’auscultent avec pince-nez et gants blancs, de peur de se salir les mains. Dans les écoles, on n’apprend pas à se confronter avec le réel, on préfère le fantasmer et le tordre à dessein. À la télé, on se moque, par ignorance et bêtise, de toutes ces figures des Trente Glorieuses qui ont fait danser nos grands-parents. On manque cruellement de cœur et de jugeote. Nous sommes devenus secs, insensibles à la beauté fugace de la Nationale 7, des sorties d’usine et des bals du samedi soir. D’un pays qui pansait jadis ses plaies de Guerre en faisant le pari insensé de la poésie et du noble divertissement, un pont entre Hardellet et Guy Béart ou, entre Prévert et Yves Montand. Rien de vulgaire dans cet esprit populaire, plutôt une volonté farouche de s’élever dans la joie.
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Aujourd’hui, balayer les traces sentimentales de notre passé s’apparente à une évolution nécessaire, un acte « citoyen ». Le monde d’avant était, par essence, réactionnaire et discriminant, détruisons-le avec détermination ! Les anciennes gloires du music-hall sont toujours les premières victimes d’un cirque médiatique qui ne reconnait que l’esbroufe et la dissimulation. Le paraître de l’instant emporte tous les suffrages, les longues carrières n’y résistent souvent pas. Il y a immunité pour tous les salisseurs de mémoire.
Les flonflons du Tour
Alors ce matin, en entendant à la radio, la disparition d’Yvette Horner, à l’âge de 95 ans, on se dit qu’une certaine époque s’envole définitivement. Des flonflons à la française chers à Souchon ou de ces longues tournées inhumaines. Épopée picaresque que ces Tour de France des années 1950, ces millions de kilomètres avalés sous la chaleur de l’été, le corps d’Yvette émergeant d’une Citroën Traction, inusable amazone et merveilleuse musicienne, buste imperturbable qui joue jusqu’à se faire saigner les doigts. Dur au mal, elle l’était, d’un professionnalisme héroïque aussi, assurant sa prestation jusqu’à la fin de l’étape, le visage en sueur et les membres endoloris. Un effort physique considérable, le dos souvent en compote, une prouesse technique incroyable, un spectacle ahurissant de folklore et de tendresse qui enchantait la route des vacances.
L’instrument du quotidien
Ne pas s’émouvoir de ces barouds féeriques sur nos départementales cabossées, c’est trahir nos aînés et, par la même occasion, nous déshonorer. Dans les faubourgs ou les campagnes, l’accordéon avait des vertus pacificatrices. Il rythmait le labeur quotidien, il était le métronome des existences simples. Ce son déchirant de vérité qui tire aussi bien des larmes que des gigues entraînantes. L’intemporelle Yvette, concertiste déchirée qui abandonna le piano à queue pour les bretelles, a consacré sa vie à la musique. Corps et âme. Elle a vendu plus de disques que tous ces faiseurs sans lendemain qui encombrent les plateaux. Des Hautes-Pyrénées à Nogent-sur-Marne, on la reconnaissait et l’estimait comme un témoin essentiel de notre vie. Aussi solide qu’une borne Michelin.
D’abord amusé par son style vibrionnant, on l’écoutait parfois nous parler des grands musiciens, sa culture classique aurait donné des complexes aux plus instruits. Et puis lorsque Yvette apparaissait dans le petit écran, crinière rousse, accent de Tarbes en bandoulière, ou plus tard, habillée par Gaultier, on était emballé par cette femme ne répondant à aucun critère prédéterminé. Non, Yvette, ton accordéon ne nous fatigue pas et tu as bien fait de ne pas jouer de la clarinette.
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