En Pologne, le nouveau gouvernement de Donald Tusk, vu comme progressiste et libéral, vient de mettre au pas de manière musclée l’audiovisuel public au nom de « l’impartialité et de la crédibilité des médias publics ». Si la décision s’explique par la véritable mainmise du parti conservateur (le PIS, précédemment au pouvoir) sur l’information délivrée par les chaînes publiques, la brutalité du procédé interroge. Le risque étant réel de voir l’audiovisuel public polonais rester toujours sous la domination du pouvoir et continuer à servir une vision biaisée de l’actualité, n’ayant changé que de maître.
Plus d’image ni de son. Ce mercredi, les spectateurs de la chaîne publique d’information en continu, TVP Info se sont retrouvés devant un écran noir. La chaîne a cessé d’émettre dans la matinée. Les programmes des autres chaînes du service public ont été perturbés, les journaux du soir notamment n’ont pas été diffusés.
Une décision expéditive
La raison d’un tel blackout est simple : le chef du gouvernement, nouvellement élu, Donald Tusk, voulait tenir une de ses promesses de campagne : la dépolitisation de l’audiovisuel public. Selon l’hebdomadaire progressiste Polytika, le message politique accompagnant l’arrêt de la diffusion était on ne peut plus clair : « Aucun citoyen polonais n’est obligé d’écouter la propagande. Il a le droit d’exiger des informations fiables. (…) Au lieu d’une soupe propagandiste, nous voulons offrir de l’eau pure ». Le côté exalté de l’argument peut faire sourire et il faut toujours se rappeler qu’un pouvoir qui promet la pureté devrait susciter un réflexe de défiance. Cependant, force est de constater que la façon dont le PIS, le parti conservateur Droit et justice, utilisait la télé publique était plus que contestable. La partialité de l’institution était régulièrement dénoncée : les journaux télévisés tournaient à l’hagiographie éhontée du gouvernement et seuls les thèmes favoris du PIS étaient traités : interdiction de l’avortement, rejet de l’homosexualité, mise en accusation violente de l’opposition…
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Il n’en reste pas moins que la manière dont Donald Tusk a procédé au limogeage des dirigeants des chaînes publiques et de l’agence de presse d’État a marqué par son côté expéditif. En France, dès que le pouvoir passe de la gauche à la droite et vice-versa, commence souvent également la litanie des affrontements autour de l’audiovisuel public. Les gouvernements successifs étant accusés de mener une chasse aux sorcières pour débarquer des journalistes vus comme inféodés à l’ancien pouvoir. Le tout pour faire la même chose avec leurs propres amis, au nom de leur conception du bien et du pluralisme, que tous promettent et que peu réussissent à établir. Mais la reprise en main se souciait des apparences, les remplacements étaient distillés dans le temps, les apparences préservées et une certaine pluralité malgré tout maintenue malgré certains biais. En Pologne, on ne peut pas dire que l’institution a été ménagée.
Le PIS récolte ce qu’il a semé
Bien sûr le PIS hurle au déni de démocratie. Par le biais du président de la République, Andrzej Duda, proche du PIS au demeurant, il reproche à Donald Tusk de n’être pas passé par la voie législative. Il faut dire que dans ce cas, le président possède un droit de veto qui lui permet de bloquer toute décision. On peut comprendre l’énervement du PIS et du président de la République. Les conservateurs, arrivés premiers aux élections, n’ont pas été en mesure de trouver des accords pour former un gouvernement et se sont vus tirer le tapis sous les pieds par Donald Tusk. Et le retour de boomerang se poursuit avec cet épisode rocambolesque. En effet, la brutalité avec laquelle Donald Tusk a agi, a été possible parce que le gouvernement dirigé par le PIS a levé tous les gardes fous quant au contrôle de la télévision publique. Ils ne récoltent donc que ce qu’ils ont semé.
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Il n’en reste pas moins qu’un tel mode de fonctionnement entraîne le plus souvent une servilité des médias vis-à-vis du pouvoir. Ceux-ci ont servi les représentations du PIS et sa ligne politique et les observateurs craignent que l’histoire ne se répète avec Donald Tusk. Cette fois-ci à l’avantage des libéraux. Le politologue Jan Misiuna a ainsi déclaré : « Avant même le Pis, le gouvernement a toujours bénéficié d’un traitement favorable dans les médias publics : le mieux que l’on puisse espérer aujourd’hui, c’est un retour à la situation d’avant 2015, avec un audiovisuel peu critique du gouvernement, mais qui permet l’expression du pluralisme politique sur son antenne. »
Une exigence démocratique en train de se transformer en vœu pieu ? Loin de la Pologne, nous constatons chez nous aussi que la diabolisation de l’adversaire empêche la capacité à dialoguer au nom du commun sur ce qui nous différencie, pour trouver ou non un terrain d’entente. Si l’adversaire est le diable, il n’y a plus de terrain d’entente possible, on ne s’assoit pas à la même table et surtout on n’a plus rien en commun ou en partage, rien à préserver et aucune base de dialogue. La polarisation des médias est un des symptômes de cette radicalisation. C’est révélateur de ce qui arrive quand on refuse la pluralité, car on est persuadé d’incarner le Bien. Cela finit souvent en légitimation du bâillonnement de l’Autre, car il est la voix du Mal. Il faut toujours s’inquiéter, quand au nom de la démocratie, les gouvernements veulent faire la police des médias et de l’opinion, sur la base de leur conception du bien et du juste. Malgré les objectifs louables avancés, le résultat est toujours le même : la démocratie finit perdante.