Heureux comme un homosexuel en France : c’est peut-être ce dont rêvent les gays polonais. Pour eux, ça n’a pas marché : à l’heure qu’il est, la Diète polonaise est sans doute en train de discuter à nouveau du projet de loi sur l’union civile. C’est que nous, les Polonais, nous aimerions nous donner, comme aurait dit Gombrowicz, la gueule d’un pays civilisé. Autrement dit, nous souhaiterions rester catholiques à 99%, mais avec un zeste d’ouverture d’esprit, de tolérance, de modernité. Au lieu de quoi le Financial Times nous qualifie de « pays de l’Est » – autant dire barbare. Quand il fallait combattre le communisme, nous étions de l’Ouest. Là, un mot de travers et nous revoilà « de l’Est » ! Voilà une belle récompense ! Ah, si nous avions su à quoi ressemble la démocratie, nous n’aurions pas levé le petit doigt. On verrait alors les mauviettes du « FT » donner des leçons de morale aux camarades du Soviet suprême ! Mais bon, les choses sont comme elles sont. Impossible de revenir en arrière. Qu’on le veuille ou non, nous avons une démocratie en Pologne et il faut qu’on se débrouille avec.
Le scandale est parti d’un rien. Interrogé sur ladite union civile, Lech Walesa a simplement conseillé à la minorité homosexuelle de rester à sa place de minorité. Sur un plateau de télévision, à une heure de grande écoute, le Prix Nobel de la paix a suggéré que les députés homosexuels occupent les derniers rangs du Parlement polonais, voire qu’ils soient séparés de leurs collègues par un mur. Rien que ça. Non pas que ces idées d’un autre âge n’aient pas cours dans la société. Mais Walesa, le héros de Solidarnosc… Pour paraître moins slave et plus civilisé, Walesa aurait pu formuler cette proposition de façon moins abrupte. Enfin, l’essentiel, c’est que les homos ne se soient pas vexés. Un activiste LGBT a même déclaré : « Je ne voudrais pas faire de Walesa l’ennemi numéro un de la communauté gay de ce pays. Tout au plus, l’ex-président a verbalisé l’opinion de beaucoup de Polonais. Je ne serais pas surpris d’apprendre que la majorité de mes concitoyens partage ses sentiments. »[access capability= »lire_inedits »]
Pour autant, il ne faut pas désespérer de la Pologne : à en croire les sondages, 12% des Polonais considèrent l’homosexualité comme « quelque chose de normal ». Certes, plus de la moitié pense le contraire, estimant néanmoins qu’il faut tolérer le phénomène. Mais bon, 12% de citoyens éclairés, ce n’est pas rien pour une grande démocratie. L’humeur de l’opinion au sujet de l’union civile est à l’avenant : plus de 90% des personnes interrogées s’y déclarent favorables pour deux personnes de sexe opposé. S’agissant des couples homos, la proportion de réponses positives tombe à un tiers. Et, croyez-le ou pas, ce résultat révèle une nette progression de la gay-friendly attitude : nous en étions loin deux ans plus tôt ! Certes, deux tiers des Polonais, Lech Walesa en tête, continuent à juger malvenue la moindre manifestation publique d’homosexualité. Mais on se gardera de jugements expéditifs. Considéré à froid, le point de vue de l’ex-leader de Solidarnosc se révèle moins barbare. Voilà qu’il l’explique dans une interview, cette fois-ci, de presse : « Je ne suis pas homophobe. Dieu m’en préserve ! Je me bats juste pour que la démocratie reflète la composition de la société. […] Et si la majorité des gens avait viré homo, qui paierait des impôts ? Après tout, les gens vivent pour procréer et payer des impôts ! » Qui aurait cru que la Pologne allait enseigner aux autres nations le sens de la vie ?
Soyons positifs : après tout, les Polonais tolèrent pas mal de choses. Cas unique en Europe, le Parlement compte un élu transsexuel. Sans parler de cet autre député qui a fait son coming out et invité ses collègues à l’imiter. Bon, jusqu’à présent, son appel n’a pas rencontré un grand succès. Et la minorité homosexuelle (estimée à 4 % de la population) a réussi à faire présenter devant la Diète des projets de loi instaurant l’union civile – droits au domicile familial, à la succession, à l’accès au dossier médical du partenaire (légal en Pologne pour les couples mariés) et tout et tout. Bien que rejeté en première lecture, en janvier 2013, le texte a suscité un vif débat. Et qui dit « débat », dit « démocratie ». Alors, où est le problème ?
Certains considèrent qu’il réside dans la Constitution polonaise, l’une de plus traditionnalistes du Vieux Continent concernant le droit de la famille ; d’autres assurent qu’il résulte des divisions au sein du parti au pouvoir, la Plate-forme civique (PO). L’article 18 de la Constitution stipule en effet que le mariage est une union de deux personnes de sexe opposé, protégé comme tel par les institutions de l’État. L’union civile serait donc anticonstitutionnelle, selon ses détracteurs, puisque les deux partenaires pourraient être du même sexe. « Faux ! », rétorquent ses partisans. Primo, l’union civile ne remplacera pas le mariage. Secundo, les couples mariés bénéficieront toujours de droits uniques comme celui d’adopter des enfants. « Un législateur qui se veut démocratique a le droit de promouvoir un modèle de famille qu’il considère comme optimal, mais il ne peut pas priver les citoyens du droit à régulariser le mode de vie qu’ils ont choisi tant que ce mode de vie respecte la loi », a déclaré un spécialiste du droit constitutionnel. Pour résumer, la Constitution polonaise ne pose pas de problème. Pas plus, d’ailleurs, que les affrontements entre les conservateurs et les libéraux dans les rangs de la PO.
Certes, faire émerger une position commune, alors que le premier ministre se dérobe à sa responsabilité de discipliner le parti qu’il préside en affirmant qu’il n’a l’intention ni d’accélérer ni de ralentir les changements sociétaux, relève du vœu pieux. D’un côté, son ministre de la Justice, membre du même parti, exclut toute institutionnalisation de l’union civile, concédant seulement quelques amendements aux lois en vigueur. De l’autre, l’aile libérale de la PO défend le principe d’une nouvelle loi, en arguant que moins la définition légale d’une union civile sera précise, plus les risques d’abus seront grands. Le ministre de la Justice menace de s’en aller en cas de victoire des libéraux : « Je serais tenté d’accorder certaines prérogatives aux personnes qui vivent dans une relation durable mais pas forcément érotique. Par exemple, deux voisines d’un âge avancé qui s’occupent l’une de l’autre auraient une facilité d’accès au dossier médical de l’autre. » Les libéraux ripostent par l’intermédiaire d’un membre du Conseil d’État dont ils ont obtenu le soutien : « Si quelqu’un craint que l’union civile de quelqu’un d’autre dégrade son propre mariage, il ne reste qu’à le plaindre ! » Tout cela vire parfois au pugilat mais en vérité, ces dissensions au sein de la PO sont un détail. Au final, le calcul électoral l’emportera et le parti au pouvoir devra prendre en compte le fait que les Polonais, aussi attachés qu’ils soient au mariage traditionnel, ne sont pas insensibles aux avantages de l’union civile, à commencer par la possibilité de la rompre facilement. Déjà une majorité (63%) accepte sans broncher que les jeunes décident de se marier plus tardivement ou pas du tout, c’est dire.
Et pourtant, il y a un problème. Et ce problème, c’est que la démocratie est incompatible avec la culture politique des Polonais. Tôt ou tard, la Diète votera une loi sur l’union civile, reconnaissant ainsi à tous le « droit au bonheur », pour reprendre la formulation employée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Cela fera-t-il de la Pologne un pays civilisé ? Sans doute, du moins aux yeux des éditorialistes du « FT ». Il est en revanche peu probable que Walesa cesse de parler le « langage des troglodytes », dixit un député social-démocrate. En attendant le « FT » n’a rien trouvé à redire à la procédure d’interpellation engagée par le chef de file des radicaux de gauche au sujet de la catéchèse qui, selon lui, enfreint la loi sur l’éducation à la sobriété : la transformation de l’eau en vin relève de la production d’alcool. Un pays civilisé, vous dit-on…[/access]
*Photo : lifebeginsat50mm.
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