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Pologne: une certaine idée de l’antisémitisme

Témoignage


Pologne: une certaine idée de l’antisémitisme
Figurines représentant des Juifs ayant les traits des caricatures antisémites, Cracovie (Pologne), 2019. Sipa/Gaelle Girbes. Numéro de reportage : 00930003_000001.

Sur les bords de la Vistule, le ressentiment anti-juif a survécu à la Shoah. Et s’exprime sans complexe. Témoignage.


Avant que Vichy ne salisse tout, il y eut en France un antisémitisme de bon aloi. C’était le 11 novembre 1918. Une comtesse du Faubourg Saint Germain, réputé pour son esprit, tenait salon. De nombreux jeunes officiers se pressaient chez elle pour saluer la victoire. Un officier arriva, en retard, et dit : « Est-ce que vous savez que le fils Camondo[tooltips content= »Un richissime banquier juif de l’époque. »]1[/tooltips] vient, le dernier jour de la guerre, d’être tué aux commandes de son avion ? » Un autre officier enchaîna : « Y’a pas à dire, les Juifs se sont bien conduits pendant cette guerre ». La comtesse enchaîna alors : « Ce n’est pas étonnant, c’était une guerre d’usure ».

L’antisémitisme polonais a d’autres charmes. J’étais à la terrasse d’un café, sur la place du Palais-Royal, à Varsovie. C’était un dimanche. Il faisait beau. Les gens étaient beaux. Des mamans se promenaient avec leurs enfants. Des couples d’amoureux s’embrassaient. Un groupe de personnes arriva sur la place et se mit aux pieds de la statue du roi Zygmunt.

Un pays aux mains des « sionistes » ?

Ils étaient six : deux hommes, deux femmes, deux enfants. Lugubres, mal habillés, laids. Ils déployèrent une banderole sur laquelle était marquée : « Le Parti des Polonais pauvres ». Il était facile de comprendre qu’il s’agissait d’un groupuscule nationaliste et d’extrême droite. Je les regardais avec une curiosité amusée, tout en continuant à boire mon café et à fumer une cigarette. L’un des hommes prit le haut-parleur et commença un discours.

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C’était assez simple. Il était question que la Pologne n’appartenait plus aux Polonais. Qu’elle avait été toute entière achetée par les sionistes. Et cela continua comme ça pendant dix minutes, avec un mot qui revenait sans arrêt : « sionistes ». Le point d’orgue fut atteint quand le pathétique individu déclara qu’Adam Michnik, le directeur, d’origine juive du meilleur journal polonais, Gazeta Wyborcza, était « le roi sioniste de la Pologne ».

« Les Allemands ont tué tous les bons juifs »

Il faisait chaud. L’homme transpirait. Il passa le haut-parleur à son comparse et s’écarta pour boire une bouteille d’eau. Comme j’étais d’excellente humeur, je m’approchai de lui. Il me regarda d’un air méfiant : les Polonais sont très physionomistes.

En baragouinant le polonais, je lui expliquai que je venais de France et que j’avais une question à lui poser. Vaguement inquiet, il opina du chef. « Pourquoi dites-vous tout le temps « sionistes » et pas « Juifs » ? ». Le type me répondit : « Je ne dis pas Juifs car nous aimons beaucoup les Juifs ». Je le félicitai :  « C’est bien ». Et il enchaîna : « Vous savez, les Juifs nous manquent. Avant la guerre, il y avait plein de Juifs formidables en Pologne. Et il y en avait aussi d’autres. Et vous savez ce qu’ont fait les Allemands ? » Je nageais en plein bonheur et lui dis que non.

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Le bonhomme m’expliqua : « Vous savez, les Allemands ont tué tous les bons Juifs et ont laissé les mauvais en vie. Ceux que j’appelle les « sionistes » ». Je l’achevai : « Vous savez, je suis Juif moi aussi. À votre avis, je suis un bon Juif ou un mauvais Juif ? » Le type resta sans voix.

Elle court, elle court la rumeur…

Le lendemain, j’avais rendez-vous avec Adam Michnik. Je lui racontai ma belle histoire de la Place du Palais Royal. Il me répondit : « J’ai mieux ». De son bureau, il sortit une lettre qui lui avait été adressée par un groupe d’officiers polonais. Il me l’a lue à haute voix. Les officiers lui envoyaient leurs salutations et leur reconnaissance :

« Cher monsieur Michnik. Vous avez combattu le communisme, et grâce à des hommes comme vous, la Pologne en est débarrassée. Soyez assuré de notre reconnaissance. Mais, d’infâmes rumeurs circulent sur vous, et elles nous indignent. On entend dire que Michnik n’est pas votre vrai nom et que vous vous appelez Szechter. Et que vous êtes Juif. Eh bien, monsieur Michnik, nous savons que ce sont les Juifs eux-mêmes qui inventent cette rumeur pour ternir votre réputation ».

J’ai quitté Varsovie. À Paris, j’ai vu des manifestations avec des gens qui criaient « Mort aux sionistes » en français et « Mort aux Juifs » en arabe. Et je compris que j’étais rentré chez moi.

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est journaliste et essayiste

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