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Solidarité avec les Polonaises!


Solidarité avec les Polonaises!
Manifestation polonaise pro-IVG. Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA30160017_000006.
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Manifestation polonaise pro-IVG. Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA30160017_000006.

D’un côté, il y a eu les femmes en noir. De l’autre, les femmes en blanc, épaulées par les prêtres, en blanc eux aussi. Tandis que, lundi dernier, les femmes en noir sortaient dans les rues des villes polonaises, brandissant des cintres en ferraille, ceux utilisés autrefois pour les avortements clandestins, les femmes en blanc étaient sommées depuis les ambons de rester à la maison ou de venir prier ensemble à l’église. Le nombre de femmes en noir a été évalué par les services d’ordre à une centaine de milliers, éparpillés à travers tout le pays. Celui des femmes en blanc reste inconnu – étant donné qu’il n’est plus d’usage en Pologne que la police pénètre dans les églises pour y compter les fidèles. D’ailleurs même si les femmes en blanc avaient été majoritaires par rapport à celles en noir, ce sont les femmes en noir qui ont remporté la bataille. Inutile d’y chercher des raisons obscures ou politiciennes. Tout simplement, il arrive encore que les causes justes l’emportent sur le délire des fanatiques religieux et autres rigoristes moraux. C’est suffisamment rare pour que nous nous enthousiasmions des récents événements qui ont eu lieu en Pologne.

Un compromis fragile

Rappelons les faits. Selon la loi de 1993, toujours en vigueur, l’avortement en Pologne n’est autorisé qu’à titre exceptionnel, dans les cas où la vie et la santé de la femme seraient menacées, l’embryon atteint d’une pathologie grave et irréversible et, enfin, que la grossesse résulterait d’un viol ou d’un inceste. Due à un compromis entre les partis de droite, notamment Droit et Justice (PiS) et Plateforme civique (PO), et les partis de gauche, avec en tête l’Alliance de la Gauche démocratique, la loi sur l’avortement ne satisfait véritablement personne. Son avantage consiste néanmoins à maintenir un semblant d’entente civile, qui permet à des milliers de Polonaises d’avorter clandestinement dans leur pays ou légalement à l’étranger, sans empêcher les vertueux de dormir du sommeil du juste. La tentative entreprise en 2007 d’inscrire dans la constitution polonaise un article sur la protection de la vie humaine dès sa conception, n’a pas été approuvée par le Parlement. Depuis lors, les tentatives de révision de cette législation d’accommodement au profit, soit de son durcissement, soit de son assouplissement, se sont multipliées, sans jamais se concrétiser. Il a fallu attendre la victoire absolue de Droit et Justice aux élections législatives de 2015 pour que Ordo Iuris, un think thank œuvrant en faveur de la promotion « de la culture juridique et du patrimoine spirituel polonais », ose présenter un nouveau projet de loi que l’on définirait volontiers comme « ultra restrictif », si la législation ne l’était pas déjà. S’il était passé, les femmes ayant eu recours à une IVG, mais aussi toute personne qui les auraient aidées à avorter ou incitées à le faire, seraient susceptible de purger une peine de cinq ans de prison. Dire que le projet visait en premier lieu les femmes serait donc juste seulement en partie. Leurs compagnons ou maris, qui songeraient à se dérober aux joies de la paternité, partageraient le même sort. Faut-il y voir la raison pour laquelle 67% des Polonais, selon le sondage réalisé par l’institut Millward Brown, ont approuvé les manifestations des femmes en noir, contre 27% pour ceux qui les ont désavouées ? Le fait est que 31% des sympathisants de Droit et Justice se sont déclarés eux aussi hostiles à la réforme. N’en déplaise au ministre des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, l’affaire n’a donc pas touché uniquement, comme il l’a soutenu, « une marge » de la société qui aurait succombé à la tentation de « se défouler ».

Les Polonaises sermonnées

L’importance de ce qui s’est joué en Pologne ces derniers jours réside non seulement dans la victoire d’une vision réaliste des affaires humaines, selon laquelle il est tout simplement contreproductif de contraindre, par des menaces et des sanctions, les femmes à être héroïques. Il s’agit également, en l’occurrence, d’un rejet, puissant et massif, de la langue de bois dont la gauche ne détient visiblement pas le monopole. Essayer de faire passer un nourrisson incapable de survivre en dehors de l’organisme de sa mère pour un « enfant handicapé » en est un exemple. Qualifier une grossesse causée par un viol de « circonstances traumatisantes de conception » en est un autre. Et que penser de l’ingénieuse trouvaille de l’archevêque de Varsovie, Henryk Hoser, qui expliquait à des millions de téléspectateurs que les grossesses dues aux viols sont un faux problème car « il y a peu de risque qu’une femme tombe enceinte sous un tel coup de stress ». La preuve, selon l’archevêque, en est le taux élevé d’infertilité dans les sociétés modernes ! Une affirmation pour le moins étonnante, venant de la part d’un homme d’Eglise qui séjournait au Rwanda au moment du génocide et n’a pas dû manquer le phénomène des dites « pregnacies of the war », ces « grossesses de la guerre » qui ont ruiné la vie de milliers de femmes et d’enfants. Croyantes dans leur majorité, les Polonaises ne se sont pas converties au nihilisme, pas plus qu’elles n’ont commencé à prêter l’oreille à ce que les ecclésiastiques polonais désignent sous le nom de « civilisation de la mort ». Reste qu’elles n’ont pas apprécié qu’on les sermonne et les invite à venir faire le ménage dans les églises au lieu d’aller manifester pour défendre leurs droits.

Enfin, les manifestations recensées, y compris dans les petits villages, ont donné tort à cette partie de l’establishment de droite qui a essayé de maquiller le profil des opposants à la réforme en les faisant passer pour des privilégiés et des bobos cosmopolites. Loin de bénéficier du même accès aux soins que les Françaises, les Polonaises les moins bien pourvues ont été les premières à contester la proposition d’une loi qui les auraient laissées sur le carreau avec un enfant lourdement handicapé, privé de tout espoir d’autonomie, tout autant que de toute aide de l’Etat. Cruel ? Inhumain ? Certes, tuer un fœtus malformé par manque de moyen pour lui garantir une existence décente, relève d’une violence sans nom. D’aucuns diront qu’abandonner un enfant handicapé à des institutions non adaptées pour l’accueillir, où il passera des années dans l’indifférence la plus totale d’aides soignantes débordées, est plus barbare encore. Et ils n’auront pas forcément tort. Par ailleurs, où chercher l’humanité dans l’obligation imposée à un médecin de retarder son intervention jusqu’à ce que la vie de la femme soit menacée ? « Les Polonaises ne vous permettront pas de les mener à l’abattoir comme des moutons. Ces moutons vous écraseront ! », a argué lors du débat parlementaire sur le projet de loi Joanna Mucha, députée de la centriste Plateforme civique. Des menaces inutiles. 46 députés -ce n’est pas rien- de Droit et Justice ont finalement voté contre la réforme de la loi. Moins en raison du fait qu’ils se seraient révoltés contre leur leader Jaroslaw Kaczynski, que parce que ce même Jaroslaw Kaczynski a changé d’avis ayant pris la mesure de l’ampleur du mouvement protestataire.

Beata Mazurek,  porte parole du parti ultra-conservateur, a pensé avoir trouvé la parade en expliquant que le projet avait été rejeté parce que les députés de Droit et Justice n’avaient pas voulu d’une loi sanctionnant les femmes. Personne n’est dupe. Le parti au pouvoir a dû reconnaître et s’incliner devant un mouvement dont l’esprit rappelait celui de la « première » Solidarnosc des années 80’, quand les chauffeurs de bus arrêtaient de travailler pour soutenir les infirmières en grève. Paradoxalement donc, « le patrimoine spirituel polonais » a été ressuscité à travers une opposition populaire et générale contre une loi injuste et arbitraire. Pour cela, et seulement pour cela, les Polonais devraient remercier les conservateurs bigots au pouvoir de leur attentat obscurantiste- fort heureusement avorté.



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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