La célèbre locution « saoul comme un Polonais » est-elle vouée à disparaître ? Depuis que les députés du parti national-catholique Droit et justice (PiS), majoritaire à la Diète, ont voté une loi accordant aux communes le droit d’interdire toute vente d’alcool entre 22 heures et 6 heures, la question se pose. Il s’agit du reste d’appliquer l’exhortation centenaire de la puissante Église catholique : « La Pologne sera sobre ou ne sera pas. »
13 grammes d’alcool dans le sang
Il faut dire que l’alcoolisme qui touche plusieurs millions de Polonais serait directement responsable de 10 000 morts par an et rendrait dépendantes 800 000 personnes. Avec près de 250 000 points de vente d’alcool pour 38 millions d’habitants, le pays pulvérise, en la multipliant par quatre, la moyenne mondiale.
L’éventuelle prohibition nocturne de la vente d’alcool pénalisera les principaux débits, des échoppes ouvertes 24h/24h qui répondent au nom de sklepy monopolowe. Rien qu’à Cracovie, on trouve plus de débits d’alcool que dans l’ensemble de la Suède ! Ces boutiques exclusivement consacrées à la vente de spiritueux sont accusées de causer des troubles de voisinage et de favoriser l’insécurité. Ainsi, il y a cinq ans, un habitant des Basses-Carpates a établi le record du monde de beuverie en se faisant interpeller avec plus de 13 grammes d’alcool dans le sang.
Risque de dégagisme sans modération
À l’autre extrémité du spectre éthylique, le président du PiS Jarosław Kaczyński reste un abstinent notoire dont la base conservatrice est constituée de jeunes, de ruraux et de déclassés, trois catégories de la population plutôt portées sur la boisson. Pas besoin d’être Jérémie pour comprendre que des mesures prohibitionnistes pourraient provoquer une hémorragie électorale. Rejetée par 60 % du peuple d’après un sondage de l’hebdomadaire Super Express, la croisade anti-godet rencontre en revanche l’assentiment de l’opposition libérale, jamais en retard d’un combat hygiéniste.
Reste à savoir si lors des élections municipales de l’automne prochain, le pays réel fera payer un lourd tribut aux édiles qui se risqueraient à lui arracher la plus enracinée de ses libertés : celle de picoler.