La politique étrangère du candidat Mélenchon, c’est Apocalypse Now ! Du carnaval démagogique au naufrage en commun, une analyse du géopolitologue Loup Viallet.
Illusions, contradictions, vieilles recettes, cynisme électoral et fake-news. Si les piliers de la politique étrangère de Jean-Luc Mélenchon ne sont pas toujours très cohérents ou très clairs, les conséquences que l’on peut attendre de leur combinaison sont quant à elles parfaitement limpides.
Sur le site de campagne du candidat Mélenchon, il est précisé aux internautes que son programme “L’Avenir en commun” est le fruit d’un travail collaboratif. Si ses auteurs sont anonymes, on peut cependant identifier trois influences majeures à l’œuvre dans le chapitre et les synthèses relatives aux relations internationales : Lénine, Captain America et Merlin l’Enchanteur. Quel autre trio pourrait relever les impossibles défis de l’Avenir en Commun ?
Mission impossible n°1 : arrêter les guerres en jouant à la roulette russe
Le chapitre 5 du programme de Jean-Luc Mélenchon prévoit (dans son point 46) de rompre avec le domaine réservé du chef de l’État en matière de politique de défense : finies les “aventures guerrières d’un seul homme”. Pas une intervention extérieure ne serait décidée sans l’aval de l’ONU si le candidat insoumis est élu ! Si l’objectif général peut paraître louable (“Renforcer le rôle de l’ONU”), la méthode semble aussi peu souhaitable que réalisable, à moins que le but implicite de cette mesure soit de paralyser les capacités de projection de l’armée française.
Dans un contexte où le Conseil de Sécurité des Nations Unies est polarisé par la rivalité grandissante entre les membres de l’OTAN et de l’AUKUS d’une part et le front commun des Russes et des Chinois d’autre part, la France mélenchonienne se couperait les bras en subordonnant une prérogative régalienne à une illusion stratégique (un consensus géopolitique entre la Russie, les États-Unis, la Chine, le Royaume-Unie et la France) ou à l’humiliation des vetos.
Dans le même temps, l’Avenir en commun s’est doté d’un objectif digne d’un refrain des Beatles : “arrêter les guerres” pour “lutter contre les causes des migrations” (point 49). Si l’on tient compte du point précédent, la France ne pourrait plus honorer certains de ses engagements internationaux sans systématiquement recourir au préalable à l’improbable feu vert du Conseil de Sécurité. Avec cette doctrine, la Côte d’Ivoire n’aurait pas connu la décennie de paix obtenue grâce à l’appui de l’opération Licorne. Bamako aurait été quant à elle submergée par la violence djihadiste dès 2013. Que les alliés de la France le comprennent : à l’avenir, le président Mélenchon jouera les clauses de défense mutuelle à la roulette russe.
Mission impossible n°2 : défier seul la plus grande alliance militaire de l’histoire de l’humanité (et triompher)
Trois grandes options se présentent aux membres du commandement intégré de l’OTAN qui se questionnent sur leur avenir au sein de l’alliance atlantique. La première est de chercher, par le débat interne, à en infléchir la structure et les directions. Les accomplissements permis par méthode semblent particulièrement limités, tant l’OTAN représente avant tout un instrument au service de la géopolitique américaine. Symbolique, la deuxième option consiste à se retirer du commandement intégré tout en restant membre de l’alliance atlantique : une manière de mettre sa politique de défense sous pilote automatique et de jeter l’éponge des affaires du monde. La dernière option est la plus radicale : sortir de l’OTAN pour rejoindre ou forger une nouvelle alliance.
Le candidat Insoumis prévoit donc de sortir de la plus puissante alliance militaire contemporaine. Est-ce pour rejoindre l’axe en cours de construction entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie ? Pas du tout. Il s’agit d’”instaurer l’indépendance de la France au service de la paix”. Mais quelle paix (mondiale) et quelle indépendance (nationale) cette décision favoriserait-elle pour la France, si celle-ci ne peut se projeter dans aucune alternative ?
En Europe, notre pays changerait immédiatement de statut : État cofondateur de l’OTAN, il deviendrait assiégé par l’OTAN. Tous nos voisins sont des membres de l’alliance atlantique et la majorité des clients de notre industrie de défense sont liés à celle-ci par des accords de coopération ou engagés dans des relations bilatérales avec les États-Unis. Inutile de préciser qu’une telle rupture a peu de chances d’être accueillie par un mouvement d’enthousiasme nord-américain de la part de l’Oncle Sam, dont la politique internationale est pourtant claire depuis longtemps : quiconque n’est pas son allié est traité en adversaire. Du point de vue de la politique étrangère on peut résumer l’Avenir en commun par cette formule : Ne rien faire, avec personne. Tout un programme !
Mission impossible n°3 : lutter contre les causes des migrations et casser la meilleure monnaie d’Afrique
Le franc CFA a le dos large, très large. Ancienne monnaie coloniale, elle s’est progressivement transformée en un compromis politique régulièrement reconduit par ses États-membres. Ces derniers ont la possibilité d’en sortir (à l’instar de Madagascar, de la Mauritanie ou du Mali en 1962) et n’importe quel État africain a la possibilité d’y adhérer (comme la Guinée-Bissau et la Guinée-Équatoriale, plus récemment). Mais des rumeurs intéressées ont fait de cette devise le symbole d’un néo-colonialisme à la française. Le franc CFA incarne auprès de nombreux publics le bouc-émissaire de la misère africaine alors que ces économies représentent moins de 1% du commerce extérieur de la France.
Par ignorance ou électoralisme (la légende noire du franc CFA est particulièrement populaire parmi les diasporas africaines en France), l’Avenir en commun entend rayer de la carte la monnaie commune d’un tiers des États d’Afrique subsaharienne. Les dirigeants africains qui ont souverainement reconduit l’adhésion de leurs pays à cette monnaie seraient-ils plus souverains une fois le franc CFA relégué aux oubliettes de l’histoire ? C’est tout le contraire. ils perdraient un atout inestimable.
La fin du franc CFA peut être actée dès lors que la France refuse de garantir plus longtemps sa convertibilité illimitée en euros et de se porter garant en dernier ressort pour les Trésors africains déficitaires. Ses conséquences seraient immédiates : les deux unions économiques et monétaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale éclateraient en 14 micro-marchés où circuleraient 14 monnaies inconvertibles, exposées aux attaques spéculatives et soumises aux fluctuations imprévisibles des matières premières. Les États-membres de la zone franc actuelle connaîtraient alors un phénomène dont ils avaient été épargnés jusqu’alors : l’hyperinflation et son lot de violences. Rien de tel pour susciter de nouvelles migrations que de condamner un pays africain sur trois à l’instabilité financière. Rien de tel pour accroître encore la dépendance extérieure de l’Afrique que de projeter le continent tout entier dans la dollarisation par idéologie.
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