Le débat sur notre politique économique est rempli d’idées idiotes et profondément ancrées. Cela convient aux gouvernements successifs, aux médias et aux électeurs, mais pas forcément à nos créanciers. Seule une contrainte extérieure forte nous obligera à revenir au réel.
Totalement occulté par les candidats de la dernière campagne présidentielle, le déséquilibre abyssal des dépenses publiques françaises revient au premier plan. Nous n’avons vraisemblablement pas fini d’en entendre parler. À l’image des catastrophes migratoires et sécuritaires, après quarante ans de déni et de consciencieux balayage de la poussière sous le tapis, la dure réalité de la dette nous rattrape. La responsabilité paraît tripartite. Elle incombe bien sûr aux gouvernants qui se sont succédé, marqués par leur profonde méconnaissance des principes économiques – qui peut croire qu’un homme comme Jean-Marc Ayrault n’aurait pas mis en faillite une épicerie de quartier en quelques mois ? Nos gouvernements ont compté jusqu’à 70 % de fonctionnaires parmi les ministres ! Des gens curieusement peu enclins à tailler dans les dépenses. Mais les médias et surtout les électeurs français paraissent tout aussi coupables. En matière économique, partis politiques, syndicats, radios ou télévisions, et France des comptoirs, tous relaient des sophismes – ces raisonnements qui n’ont de logique que leur apparence. Voici un petit florilège de la bêtise hexagonale. Attention second degré.
Top 5 des illusions hexagonales
Sophisme numéro un : l’endettement d’un pays n’est nullement comparable à celui d’un individu. Ce dernier est mortel, alors que la France est éternelle. Subséquemment, son endettement potentiel est infini et il suffit d’étaler la dette sur cent ou mille ans pour la rendre économiquement supportable. Certes, des pays ont pu faire faillite dans un passé récent, mais leurs dirigeants avaient omis d’utiliser un outil pourtant simple comme bonjour : l’annulation des emprunts en cours. Il suffira de déclarer urbi et orbi que nous ne rembourserons pas nos créanciers (parce que, c’est vrai, flûte à la fin) et l’affaire sera réglée. Si par malheur, ils refusaient de continuer à financer nos déficits – on ne va pas non plus renoncer à cette tradition nationale –, nous les priverions de nos délicieux fromages. Une menace qui devrait les convaincre d’assurer nos fins de mois.
Sophisme numéro deux : repousser l’âge de départ à la retraite revient à condamner la jeunesse à Pôle Emploi. Il convient au contraire d’anticiper au maximum la fin de carrière des travailleurs expérimentés afin de libérer des postes. Disons 45 ans pour mettre la nouvelle génération au boulot. On refusera de s’intéresser à tous les pays dans lesquels on part à la retraite à 67 ans et qui affichent des taux de chômage très inférieurs aux nôtres – pourquoi prêter attention à des choses qui n’ont aucun sens ?
Sophisme numéro trois : tous ces appels des ultralibéraux à la baisse des dépenses publiques donnent la nausée. Qui ne peut constater le délabrement de l’Éducation nationale ou de notre système de santé ? Chacun sait le scandale que constitue le niveau de rémunération de nos professeurs, de nos infirmier.e.s ou de nos médecins hospitaliers. Le fait que l’Allemagne puisse mieux payer ses soignants parce que le personnel administratif y est 30 % moins nombreux qu’en France n’entrera pas en considération. Cette remarque s’applique évidemment à l’enseignement et au personnel non enseignant des rectorats. On ne peut, en effet, vouloir sérieusement lutter contre le chômage en supprimant des postes dans les administrations. Fort de cette certitude, le secteur public a vu le nombre d’emplois progresser de 12 % en vingt ans – soit 600 000 fonctionnaires supplémentaires. Le bon sens conduit à résorber le chômage et les problèmes de qualité de service en accentuant cette tendance vertueuse : encore 2 à 3 millions de jobs à créer. À l’issue, le plein emploi et des services publics dignes de l’Union soviétique – le bonheur quoi.
Sophisme numéro quatre : ne nous laissons pas abuser par ceux qui déclarent que la France est déjà l’un des pays les plus égalitaires au monde (méprisons notamment l’indice de Gini, qui ne le prouve qu’aux yeux des suppôts du capitalisme à face de hyène). N’accordons aucun crédit à ceux qui jugent comme un privilège exorbitant la garantie de l’emploi à vie dont bénéficient les fonctionnaires. Au nom de l’égalité, il faudrait au contraire étendre cette garantie aux salariés du privé et interdire tout licenciement. Ceci, conjugué à la semaine de 32 heures (au maximum), ce corpus de bon sens reléguera le chômage au rang de mauvais souvenir. Il est désolant que l’avenir radieux offert par des mesures aussi simples nous soit rendu inaccessible par le dogmatisme des marchés financiers assoiffés du sang des travailleurs.
Sophisme numéro cinq : n’est-il pas enfin scandaleux que les riches puissent bénéficier du même remboursement des soins que les plus pauvres ? La logique qui prévaut pour une boîte de paracétamol vaut pour la baguette et, par extension, pour le chariot de supermarché. Les 2 ou 3 millions de fonctionnaires dont nous aurions le plus grand besoin pourraient ainsi trouver à s’employer (sans marcher trop vite dans les couloirs toutefois). À la caisse, le prix de nos courses pourrait être fixé par un caissier adjoint, recruté par le Trésor public. Vincent Bolloré paierait alors son steak haché environ 354 827 euros, tandis que la même bidoche coûterait un centime aux bénéficiaires des minima sociaux.
Les français vont casquer
Trêve de plaisanterie, même si ces billevesées paraissent avoir un peu moins le vent en poupe, nous ne sommes pas tirés d’affaire pour autant. Le pouvoir en place depuis sept ans est menacé à plus ou moins brève échéance par le Rassemblement national. Or le ticket Le Pen-Bardella tente de se faire élire en laissant croire que personne n’aura à faire d’efforts, sauf les immigrés. Pieux mensonge. En revanche, l’Allemagne et la BCE exigeront de la droite populiste ce qu’ils n’osaient demander aux « gentils » Hollande ou Macron : une amère austérité. Il restera à Marine Le Pen la possibilité du Frexit (dont les Français ne veulent pas) ou l’option grecque d’Alexis Tsipras, élu sur un programme radical de dépenses publiques débridées, mais transformé en « Père la Rigueur » d’une purge libérale sévère. Dix années terribles, mais dont la Grèce sort à présent renforcée. Ce sera le prix à payer par la France pour avoir cru aux Diafoirus de l’argent magique éternel. Mais les ramener sur terre ne sera pas une mince affaire – ainsi un certain Philippe Askenazy, économiste et humoriste au Monde, publie-t-il une tribune délicieusement intitulée : « Le déficit de la France est inquiétant car il est instrumentalisé pour justifier des politiques publiques de coupes budgétaires »1. Ce qui doit l’inquiéter dans l’insécurité, ce n’est pas la violence mais la justification (indigne) de mesures sécuritaires. Si le réel donne raison à la droite libérale, le réel a tort.