Politique de l’offre : Vers l’économie low-cost?


Politique de l’offre : Vers l’économie low-cost?

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Au moment où tous les gouvernements de la zone euro ne jurent que par la politique de l’offre, il peut être intéressant de s’interroger sur les vertus supposées de la concurrence débridée et l’effet d’une baisse constante des coûts relatifs des biens et de services.

L’économie de marché trouve son apogée depuis quelques années dans une dérégulation intensive de la plupart des secteurs économiques. De privatisations en démantèlements de monopoles, d’ouverture à la concurrence en libéralisation, la certitude est désormais ancrée dans l’esprit d’un public assez large que la concurrence est une « révolution libératrice » pour le consommateur.

Celui-ci a pu mesurer, dans les secteurs les plus tôt ouverts à la concurrence, certains bienfaits qu’elle pouvait lui apporter : qui ne s’est pas rendu compte que sa facture de téléphone avait baissé fortement ? Qui n’a pu bénéficier d’un vol Paris-New York à 500 euros ? Pourtant, derrière cette apparence libératrice, se fait jour une autre évidence : « La concurrence, c’est très emmerdant »

Car, dans les secteurs les plus concurrentiels, le consommateur se trouve confronté à une pluralité de choix très embarrassante. Il est désormais obligé de se forger une expertise technique et économique de haut niveau s’il veut être à même de juger avec pertinence des offres qui lui sont faites. Il est, de plus, en butte à une pression environnementale très forte : tout se passe comme si, culturellement, le consommateur avait échangé une « culpabilité chrétienne » contre une « culpabilité économique ». Ce sont ses enfants ou ses amis qui vont ainsi tenter de le ringardiser : « Comment ? Tu n’es qu’à 2 Mbits/s ? Moi, j’ai du 20 mégabits !… » Sa femme va tenter de le culpabiliser : « Comment se fait-il que nous payions 35 euros ? Les Durand sont malins eux, ils payent 29,90 euros !… » La guerre commerciale étant à son comble, celui qui veut rester à la page est obligé de jongler sans arrêt entre les différents opérateurs, au risque de pénaliser sa continuité de service et de s’engager dans des contentieux usants…

La concurrence s’intensifiant dans certains secteurs, ce qui était initialement perçu comme une fonction libératrice tend à devenir une contrainte : les situations de monopole avaient ceci de satisfaisant pour le consommateur qu’il échangeait le regret de ne pas avoir de choix contre le soulagement de ne pas avoir à choisir !

Au-delà des impressions contradictoires qui peuvent naître de la « fonction libératrice de la concurrence » tant vantée par les économistes libéraux, il apparaît aussi que cette notion pâtit de la confusion qui est entretenue dans l’esprit du public entre « privatisation » et « libéralisation », entre « monopole » et « service public », entre « dérégulation » et « concurrence » : des monopoles peuvent être privés (cf. le monopoles locaux de la distribution de l’eau), la dérégulation n’aboutit pas nécessairement à la concurrence (le consommateur anglais qui souhaite se rendre de Londres à Oxford en train n’a bien évidemment pas le choix de sa compagnie ferroviaire, sauf à choisir de passer par Glasgow au lieu de Reading…), des opérateurs privés peuvent se voire confier des obligations de service public (désenclavement des « zones blanches » ou portage des numéros pour les opérateurs de téléphonie mobile par exemples…).

S’ajoute à cet aspect des choses la segmentation des fonctions qui étaient autrefois portées par un opérateur unique : production, transport, distribution, commercialisation sont désormais parfois répartis entre plusieurs opérateurs sans que le client final ne soit en mesure d’apprécier la pertinence de cette segmentation (qui n’existe parfois pas), ni d’en comprendre les enjeux. De cette incompréhension naît parfois un fort mécontentement face à une forme d’irresponsabilité des opérateurs en cas de discontinuité du service : qui sait ce qui se passe exactement entre sa prise téléphonique et le serveur d’un fournisseur d’accès internet ? En cas de panne, qui en est responsable ?

On comprend donc que pour le consommateur , « libéralisation » rime parfois avec « confusion » et « concurrence » avec « absence de transparence »…Au-delà des remarques précédentes qui sont de nature « relationnelle » (elles correspondent au vécu, à l’expérience du consommateur confronté à la liberté de la concurrence), il existe d’autres obstacles à une concurrence vertueuse qui sont de nature économique. Le secteur des télécoms est souvent mis en avant parce qu’il reflète le mieux les bienfaits que la concurrence apporte au consommateur : liberté de choix – baisse de coûts – augmentation des performances – émergence et satisfaction de nouveaux besoins…

Mais ce secteur dispose d’un atout bien particulier : c’est l’abondance quasi-illimitée des ressources qui génère la spirale vertueuse des offres concurrentielles. Car les télécoms, comme l’informatique sont régis par la loi de Moore : « tous les 18 mois, la performance de systèmes est multipliée par 2 à coût égal » ; en 1990 les modems transmettaient à 5 Kbits/s, 24 ans après (15 fois 18 mois), l’internet peut être aujourd’hui desservi commercialement à 150 Mbits/s ce qui corrobore tout à fait la loi de Moore (5K x 215 = env 150 000K…). Nous sommes donc en présence d’un marché où règne l’abondance des ressources. Et cette abondance est elle-même génératrice de nouvelles sources de valeur : on commence par transporter de la voix, puis des données, puis des images, puis de la musique, puis de la vidéo ; ces flux représentant des valeurs économiques toujours croissantes. A performance égale (ou à flux égal), il est évident que les opérateurs peuvent se livrer sans grand risque à une guerre des prix, sachant que la ressource leur coûte toujours moins cher à partir du moment où ils la partagent entre un nombre croissant d’utilisateurs…

À l’inverse, dans d’autres secteurs ouverts à la concurrence, les transports aériens par exemple, l’abondance, si elle existe, n’est pas structurelle mais conjoncturelle : elle n’est pas liée au coût complet du service (qui reste relativement fixe même si le low-cost réduit un peu les coûts ) mais à son coût marginal (en fonction du taux de remplissage), ni à une évolution de structurelle de l’offre mais à une évolution conjoncturelle de la demande (l’offre ne devient surabondante que lorsque la demande baisse du fait d’une crise économique par exemple). Dans cette situation d’abondance conjoncturelle et marginale, la concurrence n’est pas créatrice de valeur mais destructrice de valeur à l’échelle macro-économique : la guerre des prix devient très périlleuse pour les opérateurs, il suffit pour s’en rendre compte de regarder le nombre de faillites dans le secteur aérien. Le marché du transport aérien n’est donc pas un marché d’abondance, mais un marché ajusté (soit en pénurie de ressources en cas de reprise de la demande, soit à l’équilibre, soit en ajustement marginal).

Le marché de l’énergie n’est pas non plus un marché de l’abondance. On peut même, sans risque de se tromper, prédire qu’à moyen ou long terme ce sera un marché de vraie pénurie structurelle. Les énergies stockables peuvent bénéficier d’un levier d’ajustement sur le moyen terme entre l’offre et la demande, mais l’électricité qui n’est pas stockable reste assujettie à des effets de levier extrêmement marginaux d’ajustement (effets de crête). Seule une politique d’optimisation des frais généraux (baisse des salaires ou des effectifs) permet de vendre moins cher sans que la croissance du marché génère des marges de manœuvre supplémentaires comme dans les télécoms.

On peut donc en déduire que la concurrence n’est vertueuse (bénéfique aux producteurs comme aux consommateurs : stratégie win/win) que dans les rares secteurs économiques ou règne une situation d’abondance des ressources.

Une autre considération est à prendre en compte pour juger des vertus de la concurrence : c’est celle de la nature du marché ; est-ce un marché de l’offre ou un marché de la demande ? Le marché des télécoms est à l’évidence un marché de l’offre. C’est l’abondance des ressources qui génère de nouveaux besoins et partant de nouvelles offres : parce que les débits le permettent, apparaissent de nouvelles offres de vidéo à la demande, de TV par Internet, etc. Ces nouvelles offres justifiant une demande croissante de ressources dans une spirale vertueuse en terme de valeur.

Le secteur des transports aériens est aussi devenu un marché de l’offre dans son versant loisir : on ne voyage pas parce que c’est une nécessité, mais parce que des offres alléchantes suscitent le besoin de s’évader…

Le secteur de l’énergie n’est pas un marché de l’offre. C’est un marché de la demande : on ne se chauffe pas plus parce que le prix du fioul baisse… On n’allume pas plus la lumière parce que le prix de l’électricité baisse. C’est un marché de la nécessité : la multiplication des offres ne crée pas de nouveaux besoins générateurs de valeur. On peut ainsi avancer que la concurrence n’est pas vertueuse sur les marché régis par la demande ou par l’utilité.

En fait, la concurrence n’est vertueuse qu’en cas de rupture technologique. Les ruptures technologiques (surtout présentes sur les marchés d’offre) sont aussi des leviers de croissance forts pour générer de la valeur en créant ex-nihilo des nouveaux besoins ou en transférant de la valeur entre des opérateurs traditionnels et des nouveaux intervenants sur le marché. Le secteur informatique en est le meilleur exemple. La numérisation de la musique a profondément reconfiguré le paysage de la production et de la distribution musicale, par exemple…

Dans les transports aériens, on a pu dans une moindre mesure repérer aussi une rupture technologique : le jumbo-jet a permis de réduire fortement le coût passager et a bien évidemment généré de la valeur en suscitant des offres de voyage de loisir de masse…

Le secteur de l’énergie en général et de l’électricité en particulier n’ont pas connu de rupture technologique majeure depuis longtemps : la dernière en date restant les centrales nucléaires (aujourd’hui abandonnées) s’affranchissant des ressources en énergie fossile pour industrialiser la production d’énergie d’une manière quasi endogène (Super Phénix, …). On peut parier que la fusion thermo-nucléaire (froide ou chaude) dans un avenir lointain constituera une rupture encore plus majeure. Mais dans tous les cas, ces ruptures sont liées à la production et pas à la distribution. Tant qu’aucune rupture technologique forte ne viendra modifier le mode de consommation d’énergie des consommateurs (le stockage ou l’étalement de la consommation, par exemples…), la concurrence ne créera pas de « sur-valeurs » dans ce secteur. Les transferts de valeurs y seront aussi faibles du fait de l’emprise de la production sur toute la chaîne.

La concurrence n’est donc génératrice de transferts de valeur bénéfiques au final aux consommateurs que quand des ruptures technologiques majeures permettent aux opérateurs de se différencier.

Quelle grille d’analyse politique de la concurrence ?

L’opérateur privé sera-t-il en situation de monopole et en quoi son monopole sera-t-il utile au service public ? Cette question doit par exemple guider la réflexion sur l’opportunité de “dé-privatiser” les sociétés d’autoroute ou d’envisager un système de taxation pou restituer aux citoyens le revenu du droit d’usage de l’espace publique. Cela devrait conduire aussi à mettre un terme aux projets de privatisation des aéroports.

L’opérateur sera-t-il en situation d’abondance des ressources ? Si oui, il est évident que le citoyen a tout à gagner à une saine et loyale concurrence entre opérateurs. C’est évidemment le cas des télécoms. Cela n’exclue évidemment pas de fixer à ces derniers des devoirs comme par exemple l’équipement des zones blanches. Mais les mêmes critères doivent conduire à considérer que la distribution du courrier ou des colis ne relève pas du tout d’une situation d’abondance et que dans ces conditions la privatisation rampante de la Poste doit être stoppée et le marché régulé.

Ce sont là quelques exemples qui montrent qu’il faut analyser chaque situation au regard des potentialités du marché, du service apporté au consommateur, du droit des citoyens à maîtriser l’espace public, du coût complet de chaque service, en termes d’emplois induits, d’effets secondaires sur le long terme, mais aussi et malheureusement sur l’endettement du pays du fait de la situation catastrophique des finances publiques.



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Xavier Théry travaille dans un grand groupe de communication.

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