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Polisse, un film intensément vain


Disons-le d’emblée : Polisse, le dernier film de Maïwenn, est d’une malhonnêteté fondamentale tant par sa forme que par son fond. Le scénario est un habile mélange de série télévisuelle et de film choral, tout ce qui précipite le cinéma français dans un abime de conventions et de narcissisme satisfait, nappé d’une aura de « cinéma d’auteur ».

L’histoire conte les aventures d’une brigade de protection des mineurs dans un commissariat du nord de la capitale. Des acteurs célèbres, qui pour la plupart squattent le cinéma « Qualité France », jouent aux policiers, des enfants font les victimes. En fait, même si le film arrive à refléter une certaine misère quotidienne de la vie policière, Polisse est avant tout une comédie de mœurs qui suit les aventures sentimentales des protagonistes. Leurs déboires de bureau sont le moteur de la fiction, rythmée par des scènes d’interventions policières qui fonctionnent comme alibi politique et forment autant de clichés sociologiques sur le vécu d’un commissariat : la maltraitance, les affres des banlieues et des quartiers chics. Aucun côté documentaire ici (bien que le film prétende nous révéler la réalité d’une brigade), seulement des images de fiction télévisuelle : nous sommes à des années-lumière des grands films sur la police que sont Le Petit lieutenant de Xavier Beauvois et Police de Maurice Pialat lesquels, au travers de grandes fictions assumées, révélaient une vérité crue, juste et forte de la police.

Car contrairement à ces deux œuvres, Polisse plonge dans une bien-pensance sacralisée, de gauche parce que c’est juste, forcément juste. Le film s’attache, à travers des scènes d’une triste évidence, à dénoncer un certain nombre de situations scandaleuses, mais il le fait sans recul ni nuances et les traite de manière complaisante et voyeuriste. Adolescente qui travaille pour des vendeurs de drogue, descente dans un campement sauvage de Roms qui exploitent leurs enfants, mère lumpenprolétaire qui masturbe son nourrisson, pères qui abusent de leurs filles, composent une représentation particulièrement malsaine d’êtres humains en perdition auxquels le scénario et la mise en scène n’offrent aucune chance de rachat, ne leur accordant ni compassion, ni miséricorde, ni profondeur ontologique. Tous présumés coupables ! Beaucoup de séquences sont ignobles: la mère psychotique qui laisse choir son petit, l’adolescente qui pratique des fellations pour récupérer son téléphone portable sont scandaleuses. Mais rassurez-vous, Maïwenn ne caricature pas seulement les pauvres : sa vision des riches est encore plus conventionnelle et politiquement correcte. La famille de la haute bourgeoisie où le père fait subir des attouchements à sa fille bénéficie, bien entendu, d’une protection haut placée.
La mise en parallèle de ces scènes avec celles qui mettent en jeu la vie sentimentale et conjugale des policiers relève de la grosse ficelle. Les enfants et comédiens qui jouent dans ces séquences « réalistes » sont instrumentalisés par le scénario et la mise en scène, jamais ils ne deviennent des personnages à part entière et se contentent de justifier le déroulé de l’histoire, les bons sentiments et les condamnations qu’elle véhicule. En réalité, ils ne sont que le contrepoint de ce qui intéresse Maïwenn : une comédie conjugale.

Face à l’ignominie des parents irresponsables, nous est montré le comportement exemplaire, voire héroïque des policiers qui, malgré leurs (petits ou grands) défauts, sont d’une humanité sans faille. C’est justement cette humanité qui est suspecte parce qu’elle est purement artificielle et scénaristique. Elle ne repose pas sur de réels êtres humains avec leurs pensées, leurs bassesses, leurs grandeurs, leurs certitudes, leur droiture (comme, par exemple, dans les films de Jean-Pierre Melville). Elle s’appuie sur des représentations typée de policiers, l’alcoolique (Sue Ellen : Emmanuelle Bercot), le mal marié (Fred : Joey Starr), l’anorexique (Iris : Marina Foïs), le bon flic (Baloo : Frédéric Pierrot), la policière en instance de divorce (Nadine: Karin Viard), une galerie improbable de personnages qui permet aux comédiens de satisfaire leur égocentrisme dans une suite de situations directement inspirées de Navarro ou Julie Lescaut. Très vite, l’histoire matrimoniale de Nadine, l’issue de sa procédure de divorce entamée sur les conseils d’Iris, s’installent comme le véritable sujet du film. Maïwenn qui joue la photographe invitée à faire un reportage sur la brigade de police justifie doublement son voyeurisme malsain, par sa présence à l’écran (l’alter ego du spectateur découvrant tant de misère) et sa mise en scène en deçà de toute morale de cinéaste.

En somme, la question de la nécessité artistique, politique, philosophique, sociologique d’une œuvre ne se pose plus, il s’agit seulement d’amuser la galerie, la communauté réunie des acteurs et des voyeurs consentants ou contraints. Les êtres humains, leurs souffrances, leurs fautes et malhonnêtetés, la société et ses institutions, le cinéma, méritent pourtant plus d’attention et de dignité artistique.



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est directeur de cinéma.

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