Renouer le lien entre la police et les populations des quartiers, c’est l’un des objectifs affichés par le gouvernement en instituant en septembre dernier une réforme majeure de l’Inspection Générale de la Police Nationale. Tout citoyen témoin des abus de policiers lors d’arrestations pourra désormais saisir ce service. Sur internet, le citoyen modèle pourra signaler les bavures. Ainsi, alors que la police française est l’une des plus contrôlées en Europe, l’Etat entrave un peu plus l’action des policiers pour maintenir un ordre précaire sur des terrains difficiles. Par là, Manuel Valls entend donner des cautions supplémentaires à la gauche de la gauche.
Pour les plus angéliques, il est acquis que les policiers en sous-effectifs dans les quartiers difficiles, véritables zones de non-droit, sont les « méchants » susceptibles de déraper. C’est la victimisation des coupables. Cette mesure supplémentaire va à l’encontre des discours de fermeté affichés par le ministre de l’Intérieur. Au lieu de soutenir des troupes déjà fragilisées et découragées, on les affuble d’une épée de Damoclès supplémentaire.
Il s’agit avant tout de relativiser et d’apaiser par crainte des émeutes de banlieue. Aussi, donne-t-on des gages aux voyous. À Joué-lès-Tours, des policiers ont été renvoyés par la justice pour avoir interpellé six personnes à bord d’une voiture zigzaguant sur la route. Refusant le contrôle de police, l’une des femmes a pris à partie un des policiers en le mordant. En réponse, il lui a donné des coups de matraque et s’est servi de gaz lacrymogène pour repousser la harpie. Non contents d’avoir d’emblée violenté les deux policiers, les coupables se sont présentés comme des victimes de l’intervention arbitraire des policiers. À dire vrai, la loi ne leur convenant pas, ils ne voyaient pas en quoi l’enfreindre posait problème ! L’ordre républicain est si affaibli que pour apaiser les esprits, les policiers doivent justifier chacun de leurs actes en permanence. C’est moins l’attitude des récalcitrants qui est scruté que l’action policière. Aussi, Sélim, un citoyen modèle, habitant de la même cité, outré par cette violence policière, a-t-il cru bon de poster sur internet une vidéo partielle, délibérément partiale sur les faits, intitulée « Honte à la police française ». La honte n’est plus jetée sur ceux qui enfreignent l’ordre mais sur ceux qui essaient de le maintenir dans des conditions de plus en plus difficiles. La honte de la République réside sans doute dans l’acceptation de tels comportements.
Même si les deux policiers ont été relaxés, le cas de l’un deux est toujours en suspens pour savoir si l’usage de la bombe lacrymogène était conforme au règlement. La multiplication de la judiciarisation des actions policières marque la grande peur de la République. Elle a les mains liées par une partie de la population française qui provoque sciemment les lois et s’en fait gloire. Internet est devenu le lieu de propagation de vidéos relatant les exploits de malfrats arrêtés plusieurs fois, jamais emprisonnés par manque de place ou grâce au jeu des recours et des sursis.
C’est une déliquescence du premier droit des citoyens, vivre en sécurité n’importe où sur le territoire français. En empêchant les policiers de faire leur travail, les élites républicaines veulent éviter les « problèmes ». Tous les citoyens se souviennent de 2005, du prétexte de la bombe lacrymogène et de la rumeur qui avait parcouru la cité de la Courneuve : la police attaque la mosquée ! En ce sens, pour certains, on est moins citoyens français que d’abord et avant tout membres de la même fraternité religieuse. À Trappes, l’histoire s’est répétée. Le pauvre homme qui a attaqué les policiers alors que sa femme entièrement voilée était contrôlée, a été outré. Non content d’avoir bénéficié de la juste indignation de ses coreligionnaires, on a pu le voir parader sur une chaîne régionale en se présentant comme une victime de l’Etat, abject et totalitaire. Plus tard, il s’est présenté tête haute au tribunal, fier de lui, narguant des yeux les caméras et téléspectateurs benoîts et béats derrière leurs écrans. La justice est passée. Pour avoir été la cause d’émeutes, de dégradations publiques de mobiliers publics flambants neufs, pour avoir fait trembler la République, il a écopé de quelques mois avec sursis. De surcroît, il a mis dans l’embarras le pauvre maire communiste de Trappes, alpagué en permanence par des concitoyens bienveillants mais un tant soit peu rageurs aux cris de : « On a voté pour vous ! ».
Passer outre, voilà le nouveau mot d’ordre. La loi Taubira accroîtra les dispositifs déjà en vigueur sous l’ère Sarkozy pour transmuer les peines de prison en peines de probation. Se présentant comme le champion de la bataille contre l’insécurité, Sarkozy a joué sur les apparences. Des consignes d’indulgence, reprises par la gauche, ont été intimées aux policiers, surtout pas de vague ! Les victimes doivent relativiser. Où sont les chevaliers blancs quand le chaland se fait dérober son portable ou son portefeuille ? La faute à pas de chance. Oui, le message public est clair. Si vous êtes agressés, inutile de porter plainte, le policier haussera les épaules en écoutant votre récit, ils sont en sous-effectifs et ils ont plus urgent à faire.
Quand la chasse aux policiers susceptibles de commettre une bavure est en passe de devenir un sport national, que reprocher aux malfrats ? On vous serinera que ce sont des victimes du système, de la crise, de leurs parents, et qu’après tout ils ont bien le droit de fouler les innocents aux pieds. À force de traîner Marianne dans la fange, les adeptes de la culture de l’excuse nous mènent droit à l’écœurement…
*Photo : JULES MOTTE/SIPA. 00536115_000002.
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