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Polanski: vers la fin des calomnies?

Le cinéaste est jugé pour "diffamation" à Paris demain


Polanski: vers la fin des calomnies?
Des militantes manifestent contre Roman Polanski lors de la soirée des César, 28 février 2020 © Alfonso Jimenez/REX/SIPA

Le cinéaste de 90 ans sera jugé mardi, à Paris, pour diffamation après avoir qualifié de « mensonge odieux » les accusations d’agression sexuelle portées contre lui par une comédienne britannique. À la veille du procès, Sabine Prokhoris fait le point.


Ce 5 mars, Roman Polanski sera jugé dans le procès en diffamation que lui a intenté l’actrice britannique Charlotte Lewis, pour les démentis qu’il oppose à ses accusations dans une interview accordée à Paris Match en décembre 2019. Charlotte Lewis est l’une des femmes qui accusent de viol le réalisateur, dont elle avait été l’interprète dans le film Pirates.

L’actrice avait lancé sa bombe contre Polanski lors d’une conférence de presse au Festival de Cannes en 2010, occasion rêvée pour donner le plus grand retentissement possible à ses « révélations ». À cette époque Roman Polanski était assigné à résidence sous bracelet électronique dans son chalet de Gstaad, dans l’attente d’une décision de la justice suisse quant à une demande d’extradition formulée par les États-Unis à son encontre, en rapport avec l’affaire Samantha Geimer, non clôturée du fait des graves dérives judiciaires de magistrats californiens. Sur les tenants et aboutissants de cet épisode, qui se solda par un refus de la Suisse d’accéder à cette demande, en raison des sérieux manquements de la justice américaine qui refusait d’accéder à de légitimes demandes d’information des autorités helvétiques, nous renvoyons le lecteur au livre d’Emmanuelle Seigner, Une vie incendiée, paru en 2022 (L’Observatoire).

J’accuse !

Quelques petits rappels sont ici nécessaires, pour comprendre cette étrange situation : ce n’est pas Roman Polanski qui porte plainte pour diffamation, c’est à l’inverse une femme qui l’a vilipendé bruyamment en portant contre lui des accusations graves. Elle n’a jamais déposé plainte pour ce viol allégué, si bien que le cinéaste n’a pas eu la possibilité de se défendre lors d’un procès pénal équitable. Diffamé, voire calomnié depuis des décennies, Roman Polanski a toujours fait le choix de contester fermement, par la voix de ses avocats, les différentes accusations qui le visent, sans intenter pour sa part d’action en diffamation. Il se sait innocent. Il consacre son énergie au travail de création. À quoi bon s’épuiser contre la calomnie, puisque les conditions judiciaires – celles d’un procès pénal – ne sont de toute façon pas réunies pour établir son innocence ?

Il est aussi extrêmement rare, en vertu de cette ligne de conduite, que Polanski s’exprime sur ces sujets dans les médias. S’il s’y est malgré tout résolu en décembre 2019, c’est, explique-t-il, uniquement pour sa famille, à la suite d’une nouvelle accusation de viol (avec violence) spectaculairement lancée dans Le Parisien le 8 novembre 2019 par la photographe Valentine Monnier. Cela quelques jours à peine après la déflagration Adèle Haenel, d’emblée orientée en direction de Polanski par les commentaires de la journaliste Iris Brey sur Polanski-« Violanski ». Le film J’accuse sortait juste à ce moment-là, et Valentine Monnier inaugurait en même temps sur son site une exposition de ses photographies, également intitulée J’accuse. Immédiatement le reste de la presse emboîtait le pas au Parisien, et à son « enquête » exclusivement à charge.

C’est donc dans le contexte d’une campagne médiatique qui fait la part belle, c’est le moins que l’on puisse dire, à ses accusatrices que Polanski accepte de répondre, aussi précisément que possible, aux questions de Paris Match. Paris Match qui, au nom du « contradictoire » sans doute, assortit la longue interview accordée par le réalisateur d’un curieux portrait de Valentine Monnier, rédigé d’une façon telle que les propos de Polanski, qui réfute l’ensemble des accusations portées contre lui, en seront comme automatiquement frappés de discrédit. Car si, comme le suggère plus qu’explicitement Aurélie Raya, auteure du portrait (et co-réalisatrice de l’interview de Polanski), Valentine Monnier dit la vérité, c’est que Roman Polanski ment.

La fièvre MeToo

A fortiori dans le climat empoisonné depuis 2017 par la logique perverse du « moi aussi », qui fabrique à peu de frais la « preuve » par le nombre, et s’appuie sur le slogan « Victimes, on vous croit ! » devenu, on le constate jour après jour, une injonction moralo-politique, quasi institutionnelle et en tout état de cause largement relayée dans les médias. Naufrage corps et biens de la présomption d’innocence, et dé-légitimation a priori de la parole des mis en cause.

Concernant Valentine Monnier, puisque ce sont ses accusations (forcément véridiques, Adèle Haenel a dit la croire, alors…) et leurs répliques en cascade qui ont fait de Roman Polanski le paria qu’il est aujourd’hui – au point qu’un festival en vient à déprogrammer Le Bal des vampires en raison de l’effroi » (sic) suscité par son nom[1] –, il est remarquable que les éléments ou témoignages de nature à jeter un doute sur ses allégations particulièrement gore n’aient jamais été mentionnées. Ou lorsqu’ils l’ont été – à peine, dans le portrait ému de l’éternelle jeune-fille publié par Paris Match –, c’est immédiatement pour les décréter non recevables : « Mais ils sont nombreux, du côté de Polanski, à choisir la morale pour discréditer la jeune fille, décrite comme « légère, dévergondée, cupide », arguments non étayés »,  balaye Aurélie Raya. Catherine Paganessi, qui a connu à l’époque Roman Polanski et fréquenté Valentine Monnier, tout comme Catherine Virgitti, ou Bertrand Djian mentionné dans Match, la dépeint en effet ainsi. Mais surtout, elle raconte à Aurélie Raya comment à Los Angeles, cinq mois après son prétendu viol, la « victime traumatisée » – mais qui n’avait pas froid aux yeux pour cibler les hommes riches et célèbres –, veut absolument aller saluer Polanski, attablé avec Warren Beatty. C’est que, selon la journaliste qui se débarrasse ainsi de cette information gênante : « Valentine a souffert d’amnésie dissociative, syndrome théorisé par plusieurs spécialistes du viol ». Une fable pour les nigauds, et une imposture clinique – sauf que les nigauds tiennent le haut du pavé en la matière.

A lire aussi, du même auteur: Le viol verbal

Si le déclencheur de toute l’affaire est l’épisode Valentine Monnier, c’est en l’occurrence Charlotte Lewis qui attaque, judiciairement, Polanski : assez artificiellement, elle considère diffamatoires des propos de Roman Polanski, lequel se contente pourtant, à l’occasion d’une interview dans la presse, de se défendre fermement de ses accusations. Répondant à une question des journalistes, il soutient, documents à l’appui, que les propos de Charlotte Lewis sont mensongers, en démontrant qu’ils contredisent de façon flagrante plusieurs interviews dans lesquelles elle avait dit son engouement, et son désir – déçu – envers le réalisateur de Pirates, ainsi que sa reconnaissance éperdue à son égard. Autrement dit, outre qu’on ne voit pas qu’il soit illégitime, lorsqu’on a été attaqué publiquement, de répondre de même, Polanski n’impute rien d’autre à Charlotte Lewis, que ce qu’elle a elle-même déclaré, publiquement et à plusieurs reprises, par le passé. Un passé aujourd’hui revisité, en mode victimaire/agressif.

Observons que la plainte en diffamation, qui se situe, d’un point de vue judiciaire, sur le terrain de la liberté d’expression et de l’appréciation de ses limites, semble ici clairement envisagée par Charlotte Lewis à d’autres fins, qui relèvent d’un registre tout différent : celui du pénal. Voici en effet comment, dans Le Parisien en décembre 2021, elle qualifie sa démarche, une « mission » dit-elle : « Ce sera la première fois que Roman Polanski sera jugé depuis qu’il a fui la justice américaine en 1977. Et j’espère qu’il sera condamné parce que la diffamation, c’est un viol quotidien. Roman Polanski a commis deux crimes contre moi : le viol et la diffamation. Et il utilise son premier crime pour commettre le deuxième. »

Confusion des registres

On comprend aisément, à lire cette déclaration pour le moins bizarre, l’enjeu grossièrement tordu de son assignation : utiliser le procès en diffamation (ce « deuxième crime ») pour obtenir que Polanski soit, par une condamnation, (comme) déclaré coupable par la justice du viol dont elle l’accuse. Un pari sur un tour de passe-passe (pseudo) judiciaire, qui joue sur la confusion des registres, faisant fi de l’incompétence en matière criminelle du tribunal qui juge en matière de diffamation. On peut espérer que personne ne sera dupe d’un tel jeu de bonneteau. À l’évidence, l’instrumentalisation ici de l’affaire Geimer remplit aussi, doublement, cette fonction : créer une pseudo-continuité, entre l’épisode de 1977 et le viol qu’aurait commis Polanski sur elle, et établir une équivalence entre la procédure pénale intentée contre lui à l’époque et la plainte en diffamation lancée contre un homme qui qualifie de mensongères les allégations de ses accusatrices – dont elle.

Le procès qui se tient demain intervient dans un climat hystérisé ces dernières semaines par une affaire #MeToo qui prend une tournure qu’on pourrait qualifier de délirante. La tentation entretenue de tous côtés – et gageons que la partie civile, faisant feu de tout bois, y incitera –, sera de faire prospérer au maximum cette confusion. Souhaitons que la sérénité requise dans l’enceinte judiciaire permette néanmoins de garder les idées claires.

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[1] https://www.causeur.fr/le-bal-des-vampires-roman-polanski-gerardmer-276727



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philosophe et psychanalyste

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