Étonnante audience hier devant la 17e chambre, où Roman Polanski poursuivi en diffamation par l’actrice britannique Charlotte Lewis était jugé pour des propos tenus lors d’une interview accordée à Paris Match le 12 décembre 2019. En réponse à une question des journalistes, au sujet des accusations de viol portées contre lui par plusieurs femmes, dont Charlotte Lewis, il répond qu’il s’agit d’un « mensonge odieux » – propos non poursuivi –, et il ajoute : « Voyez-vous, la première qualité d’un bon menteur, c’est une excellente mémoire. On mentionne toujours Charlotte Lewis dans la liste de mes accusatrices sans jamais relever ses contradictions. » Et il rappelle certains propos de Charlotte Lewis dans plusieurs interviews, dont une interview de 1999, traduite et republiée en 2010 par la revue La Règle du jeu lorsqu’elle lance ses accusations. Les journalistes insistent, l’interrogeant sur l’intérêt qu’aurait à son avis Charlotte Lewis de l’accuser à tort. Il répond : « Qu’est-ce que j’en sais ? Frustration ? ll faudrait interroger des psys, des scientifiques, des historiens. Que sais-je ? »
Tels sont les propos poursuivis.
Un peu plus tard dans l’interview, Roman Polanski précise, concernant Charlotte Lewis, qu’il ne souhaite nullement en découdre, qu’au contraire il la voudrait « hors de sa vie ».
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Quelle était la question que posait ce procès ?
Intervenant après une déposition passablement embrouillée de l’actrice, truffée de contradictions et de mensonges pathétiquement visibles (ainsi a-t-elle prétendu qu’elle n’avait eu connaissance de l’interview, rémunérée 35 000 euros, qu’elle avait accordée en 1999 à News of the World, qu’en 2010 !), et la longue déposition du témoin de la défense Stuart White, journaliste auteur de l’interview à News of the World citée par Roman Polanski à l’appui de ses propos, la procureure l’a rappelé : « La question n’est pas de savoir si Roman Polanski a commis ou non les faits dénoncés par Charlotte Lewis. Elle n’est pas non plus de savoir si l’on doit ou non accorder du crédit à News of the World. Elle est de savoir si Roman Polanski a fait un usage disproportionné de sa liberté lorsqu’il a tenu les propos qui lui sont reprochés ». Elle a clairement laissé entendre ses doutes quant au caractère juridiquement diffamatoire de ces quelques mots du cinéaste dans le cadre de cette longue interview, et n’a par conséquent pas requis sa condamnation. Elle a également pointé, avec délicatesse mais sans hésitation, la confusion de la déposition de Charlotte Lewis, disant également ne pas bien saisir ce que la plainte reprochait exactement à Roman Polanski.
On ajoutera, ce que la défense a plaidé avec force, que la question implicite soulevée par ce procès, fondamentale en réalité, était la suivante : est-il légitime, à l’ère de la toute-puissance médiatique de #MeToo, et du mantra « Victimes on vous croit ! », qu’un homme accusé dans les médias de faits graves se défende publiquement ? Lorsque le prétendu « prédateur » est un homme connu, doit-il s’interdire de dénoncer comme mensonges des allégations, données sans preuves pour des vérités, quand la possibilité de les réfuter dans un procès équitable est rendue caduque par la prescription ? La « libération de la parole » doit-elle impérativement avoir pour corolaire de frapper d’interdit toute parole publique d’un mis en cause – sauf des actes de contrition publique, seule parole acceptable, c’est la tendance du moment, quand bien même le mis en cause sommé de s’auto-incriminer ne serait-il coupable de rien sinon d’être accusé ?
Maître Benjamin Chouai pour Charlotte Lewis, en dépit du salutaire rappel juridique de la procureure, et sans doute faute d’arguments consistants pour plaider une intolérable diffamation, s’est obstiné à se tromper de procès tout en déniant le faire. Il a commencé avec emphase par dire son « intime conviction » (ah oui ? so what ?) que Roman Polanski avait violé Charlotte Lewis en 1983. Il s’est ensuite employé, faisant feu de tout bois (y compris de la nouvelle Jeanne d’Arc de #MeToo, Judith Godrèche), à jeter avec application des boules puantes sur le cinéaste. Il l’a présenté sans rire comme un « puissant » qui, avec son argent avait « les médias à sa main » et n’avait de cesse d’user d’un tribunal médiatique à ses ordres – peut-on concevoir affirmation plus grotesque, pour peu qu’on ait une petite idée du rapport des médias à Roman Polanski, cela depuis l’assassinat de son épouse Sharon Tate en 1969 ? Roman Polanski ? Un être malfaisant en somme, qui de surcroît « faisait témoigner la fillette (sic) qu’il avait violée » en 1977 – une attestation de Samantha Geimer en faveur de Roman Polanski figurant dans les pièces de la défense. En résumé, Polanski aurait orchestré, avec le concours des médias obéissants, un complot (« mais je ne suis pas complotiste », assure Maître Benjamin Chouai) contre Charlotte Lewis. Pourquoi ? Pour la salir, bien sûr. Pour quel bénéfice ? La question ne sera pas posée… Là s’est démontrée, de façon flagrante, l’inversion caractérisée de la situation – car c’est en réalité Polanski, que l’on couvre de boue depuis tant d’années –, que la partie civile voudrait faire avaliser par le tribunal. Avec en prime une condamnation qui vaudrait « preuve » que Polanski a effectivement violé Charlotte Lewis. Grossièrement et pitoyablement retors.
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Aussi confus que sa cliente, Maître Benjamin Chouai, à bout de ressources argumentatives mais pas d’armes sales, ira même jusqu’à accuser la défense de subornation de témoin – une accusation particulièrement grave, s’indignera Delphine Meillet, relevant au passage une perle de son confrère, qui parle de « subordination » de témoin ! –, au sujet de la rétractation de Karen Smith, à qui Charlotte Lewis avait extorqué un faux témoignage sur ce prétendu viol, comme le démontrera Maître Delphine Meillet dans sa plaidoirie habitée autant qu’implacablement logique. Un « viol », soit dit au passage, dont tout à la fois Madame Lewis prétend l’avoir dénoncé le lendemain à Karen Smith, et n’avoir compris qu’il s’agissait d’un « viol » que des années plus tard. Allez y comprendre quelque chose.
Maître Alain Jabukowitz, dans une plaidoirie brillante et juridiquement irréfutable, après avoir pointé l’absurdité de ce procès – un peu de bon sens ne saurait nuire en effet –, démontre à la Cour et à l’auditoire que la « souplesse » (un euphémisme) en matière de liberté d’expression issue de la jurisprudence de la Cour de cassation dans les affaires Brion contre Sandra Muller et Pierre Joxe contre Ariane Fornia doit valoir comme un principe général, et non au seul bénéfice de femmes qui accusent des hommes alors réduits au silence, puisque leurs plaintes en diffamation ne peuvent plus guère aboutir. Le champ libre – sinon le blanc-seing – laissé à des dénonciations publiques tous azimuts, au mépris de la présomption d’innocence (il est vrai que « la justice doit cesser de brandir l’argument de la présomption d’innocence, qui est lâche », selon la « victimologue » Muriel Salmona), est un fait jurisprudentiel. Le propos d’Alain Jabukowicz dans sa plaidoirie n’est ni de s’en féliciter, ni de le déplorer. Il en prend acte, et signale qu’on voit mal au nom de quel principe cette nouvelle donne ne pourrait bénéficier à son client.
Maître Delphine Meillet, avec passion et clarté, évoquant pour commencer la solitude de Roman Polanski, a offert une plaidoirie limpide et admirablement argumentée, que tous devraient aujourd’hui méditer. Elle a puissamment démontré les contradictions incessantes, les manipulations, l’opportunisme, et les mensonges de Charlotte Lewis, à qui ne s’applique même pas, a-t-elle dit, « la métaphore de l’horloge détraquée » qui au moins deux fois par jour marque l’heure juste. Elle a méthodiquement mis en pièces les faux arguments de Maître Chouai, dit aussi, sobrement, son dégoût pour le bric-à-brac ridicule des « preuves » que Polanski serait un salace amateur de fillettes pré-pubères. Elle a également fait une mise au point indispensable sur l’infraction jadis commise par Roman Polanski lors de l’épisode Samantha Geimer – non pas un viol, mais une relation sexuelle illicite avec une mineure –, pour laquelle Polanski a plaidé coupable et a été sanctionné, au-delà même de la peine qu’il a purgée en Californie si on prend en compte son emprisonnement en Suisse en 2009.
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Enfin, avec un courage rare, elle a osé mettre en cause le « contexte étouffant de #Metoo, où le témoignage public a valeur de preuve, qui a valeur de vérité ». Un blasphème par les temps qui courent ? Elle s’est à juste titre insurgée contre le dévoiement inflationniste du sens des mots : Charlotte Lewis qualifie de « second viol » les propos de Roman Polanski ; ou récemment Jacques Weber qui, après avoir signé un soutien à Gérard Depardieu, s’abaisse piteusement à dire que sa signature était un « autre viol » pour les « victimes ».
Delphine Meillet, il faut le rappeler, avait été l’initiatrice de la tribune consécutive aux César 2020, dans laquelle 114 « sopranos du barreau » avaient mis en garde contre une « inquiétante présomption de culpabilité » qui s’invitait dans le débat public en matière d’infractions sexuelles1. Elle n’a pas dévié de son intégrité juridique et morale, sa plaidoirie inspirante en est le signe le plus lumineux.
Ce procès n’était certes pas le procès de #MeToo. Mais il a été celui, emblématique à l’évidence, où l’on a pu enfin débattre de la liberté et du droit d’un homme de se défendre lorsqu’il est jeté en pâture aux médias. Un tournant ?
Délibéré le 14 mai.
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- https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/08/justice-aucune-accusation-n-est-jamais-la-preuve-de-rien-il-suffirait-sinon-d-assener-sa-seule-verite-pour-prouver-et-condamner_6032223_3232.html ↩︎
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