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Polanski et l’Amérique qui fait peur


Polanski et l’Amérique qui fait peur
Roman Polanski, Wanted and Desired.
Roman Polanski, Wanted and Desired
Roman Polanski, Wanted and Desired.

Au-delà de votre admiration pour le cinéaste Polanski, pourquoi prendre fait et cause pour lui ? Et que répondez-vous à ceux qui affirment que les élites défendent l’un des leurs ?

Je réponds que cet argument doit être retourné. Aucun anonyme n’aurait subi son sort. La célébrité de Polanski n’est pas un moyen pour lui de se placer au-dessus des lois, elle est la cause de l’acharnement judiciaire contre lui. Frédéric Mitterrand a raison : cette affaire révèle la part sombre de l’Amérique. On ne peut pas simplement affirmer que les États-Unis sont un État de droit et s’en laver les mains. L’élection des procureurs et la médiatisation confèrent à l’opinion une influence démesurée sur le déroulement des procédures judiciaires. L’imbrication de cette justice terrifiante et de la médiatisation sans frein fait vraiment très peur.

Tout de même, n’était-il pas non seulement maladroit mais déplaisant de le défendre en excipant de sa qualité d’artiste ?

Quand Frédéric Mitterrand a rappelé que Polanski était un grand artiste, il ne voulait pas dire qu’il doit être exonéré de ses responsabilités. Mais enfin, personne n’ignorait que Polanski ne pouvait pas se rendre aux États-Unis : cela a encore été remarqué lorsque Le Pianiste a reçu un Oscar. Il n’en était pas moins célébré en France, comme le montrent de très récentes images du Festival de Cannes. Et soudainement, on découvre qu’il est un monstre et la France applaudit à son arrestation ? C’est inconcevable ! Il y a quelque chose de terriblement choquant dans ce retournement soudain et dans la vindicte qui s’est abattue sur lui sur l’air du « Tous égaux !  ».

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En plein débat sur les délinquants sexuels, c’est peut-être inquiétant mais guère surprenant…

D’abord, soyons clairs : s’il était pédophile ou pervers, il n’y aurait aucune raison qu’il ne paie pas pour ses crimes. Mais on voit dans le documentaire de Marina Zenovic qu’il s’est soumis, des semaines durant, à des expertises qui ont toutes conclu à l’absence de pulsions criminelles.

D’accord, ses pulsions sont peut-être parfaitement « normales », mais a-t-il ou non violé une très jeune femme ?

D’abord, je vous rappelle qu’il n’est pas accusé de viol mais de « relations sexuelles illicites » avec une mineure. Par ailleurs, dans les 40 pages qu’il consacre à cette affaire dans son autobiographie, il conteste absolument l’absence de consentement.

Même s’il y a eu consentement, quel sens cela a-t-il, s’agissant d’une fille de 13 ans ?

Compte tenu de son âge, 42 ans, Polanski aurait évidemment dû s’empêcher d’avoir des relations sexuelles avec elle. Ce n’est pas une raison pour tout mélanger. On confond le fait d’être mineur et le fait d’être un enfant. Que je sache, l’enfance est la période qui va de la naissance à la puberté. Ensuite, on entre dans l’adolescence. Or, cette jeune fille était pubère, avait une vie sexuelle, elle posait nue. Et si c’était une enfant, alors, il faut juger la mère qui a pris l’initiative de cette séance. Surtout, on ne peut pas relire cette affaire à l’aune de ce que sont devenus le droit et les mœurs. On ne peut juger que ses contemporains : c’est aussi cela, le sens de la prescription. Tout cela se passe dans une ère de permissivité dont il est incroyable que nous l’ayons à ce point oubliée. Nous sommes en 1977, Polanski a déjà une réputation sulfureuse, son épouse enceinte a été assassinée par une bande d’illuminés, il fait des films particuliers et ne cache pas son goût pour les jeunes femmes. Vogue Hommes lui commande une série de photos d’adolescentes dénudées et une mère laisse sa fille de 13 ans seule avec lui. À la fin de la soirée, il raccompagne la jeune fille et prend un verre avec les parents. Tout cela serait inconcevable aujourd’hui.

Au point où il en est, n’a-t-il pas intérêt à se présenter devant ses juges et à en finir ?

Quand les Suisses assurent que Polanski risque seulement deux ans de prison, ils se moquent du monde. Il n’y a pas plus de raison de leur faire confiance que de faire confiance à la justice américaine. Qui peut croire qu’on ressorte des tiroirs un mandat d’arrêt vieux de trente ans pour prononcer une peine de deux ans ? Je vous rappelle en outre que, si le droit français prévoit une échelle des crimes et des sanctions, en Amérique, on peut, pour les mêmes faits, être condamné à un jour ou à cinquante ans de prison. Les juges suisses peuvent encore refuser l’extradition, et sauver l’honneur de leur pays qui en a bien besoin. Arrêter Polanski après avoir exfiltré Hannibal Kadhafi, il y a de quoi rougir, non ? Le refus de le remettre en liberté sous prétexte qu’il a de l’argent et qu’il pourrait fuir est honteux. Depuis des années, il possède un chalet en Suisse et cela ne semblait déranger personne.

Vous montrez parfaitement que son dossier peut se plaider. Pourquoi ne pas répondre de ses actes, surtout s’ils n’étaient pas si graves que cela ?

Il est tombé sur un juge obsédé par la célébrité, qui a clairement outrepassé ses droits et manqué à tous ses engagements parce qu’il était sous la pression des médias. Même le procureur, considéré comme un homme très intègre, reconnaît à demi-mot qu’il n’avait aucune autre solution que la fuite. La justice américaine a reconnu les irrégularités de la procédure et il a été dessaisi du dossier. Le problème, c’est que la situation n’est pas très différente aujourd’hui. Le juge a rejeté la requête de ses avocats qu’il soit mis fin aux poursuites au motif que Polanski refuse de se rendre sur le territoire américain pour présenter lui-même sa requête. Or, Polanski à posé une seule condition : que cette audience ne soit pas filmée. Et ça, les juges ne veulent pas en entendre parler. Qu’est-ce que cette justice qui a besoin des caméras et des images ? Polanski n’a pas seulement peur de la justice, il a peur des médias. Et il a raison.[/access]

Novembre 2009 · N°17

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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