Accueil Édition Abonné Avril 2024 Et l’art, c’est du poulet ?

Et l’art, c’est du poulet ?

Quand il est question de "violences sexistes et sexuelles", l'art n'a plus droit de cité


Et l’art, c’est du poulet ?
Sharon Tate dans "Le Bal des vampires" de Roman Polanski en 1967 © Mary Evans/AF Archive/SIPA

Impossible d’entendre les noms de Polanski ou de Depardieu sans qu’y soit accolée l’étiquette de prédateur sexuel. Leur culpabilité supposée a effacé leur œuvre. Pour les militants de la bonne cause, la dimension artistique n’existe plus, car l’art « n’est pas le sujet » !


« J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma… » C’est par ces mots que s’est ouverte la plaidoirie de maître Delphine Meillet le 5 mars dernier devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ce jour-là, on juge Polanski pour diffamation. La plaignante, c’est Charlotte Lewis, qui accuse publiquement (depuis 2010) le réalisateur de viol. Aujourd’hui elle l’attaque pour diffamation en raison de propos tenus par le cinéaste dans Paris Match en 2019 au sujet de ce viol allégué. Lorsque le journaliste évoque les accusations de Lewis, Polanski répond : «Voyez-vous, la première qualité d’un bon menteur, c’est une excellente mémoire. On mentionne toujours Charlotte Lewis dans la liste de mes accusatrices sans jamais relever ces contradictions. » Et lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui la pousseraient à mentir, il déclare : « Qu’est-ce que j’en sais ? Frustration ? Il faudrait interroger des psys, des scientifiques, des historiens, que sais-je. » Voilà l’objet de la supposée diffamation.

C’est pas le sujet !

Mais ce procès n’est pas ce dont je veux parler ici. « J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. » Comment Delphine Meillet a-t-elle osé prononcer ces mots ? Rappeler et affirmer aujourd’hui que Polanski est « l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma » relève de la résistance. « Et alors ? Quel est le rapport ? C’est pas le sujet ! » dit-on dans les chaumières néoféministes. Et c’est bien vrai ! L’art n’est pas le sujet. Ni là, ni ailleurs. L’art n’est plus le sujet. Nulle part. Jamais. L’art ne compte pas. De Polanski, désormais, n’importe plus que le scandale. C’est le monde en train d’advenir. Polanski est un pédophile, Depardieu un gros porc et un violeur. Point. Leur œuvre : à la trappe. Ce n’est pas le sujet ! Il faut nier la dimension artistique, l’ignorer. Elle ne doit plus exister. Il faut la remplacer. La remplacer par autre chose. La remplacer par ce qui les obsède : les violences sexistes et sexuelles. Il ne faut plus que leurs noms soient synonymes d’art mais de viol, de violence, d’horreur. Des collages féministes affichaient d’ailleurs dans les rues en lettres capitales « VIOLANSKI ». Et voilà, le tour est joué ! Introduire le viol jusque dans son nom. Ainsi, le viol sera toujours le sujet. L’art, lui, le sera de moins en moins.

Adèle Haenel – au hasard ! – accepterait-elle de participer à un débat purement centré sur l’œuvre de Polanski, où les accusations de viol ne seraient pas le sujet ? Je ne crois pas. Pourquoi ? Parce que pour elle, comme pour beaucoup de militants MeToo, l’art ne compte pas. L’artiste ne vaut rien. Imaginez-vous la scène ! Allez, on se projette.

Deux ou trois personnes, dans une émission TV consacrée au cinéma, parlent du Bal des vampires. Elles analysent le génie avec lequel la scène du bal est tournée et décryptent avec passion l’immense numéro d’acteur burlesque de Jack MacGowran et Polanski tentant de tuer le comte Van Krolock endormi dans son cercueil. Mais, soudain, Adèle Haenel – silencieuse jusque-là – s’exclame : « Vous plaisantez ?! On parle d’un homme accusé de viol là ! Vous avez écouté les témoignages des victimes ? »« Adèle, ce n’est pas le sujet… », lui rétorque le présentateur.« Ce n’est pas le sujet ? Polanski est un violeur et ce n’est pas le sujet ? Bien sûr que c’est le sujet ! C’est le seul sujet ! »hurle Haenel.

J’imagine tellement la scène. Je la vois. C’est toujours le sujet ! Évidemment. C’est le seul sujet qui compte. Mais sortons de mon imagination. Dans la réalité actuelle, aucun présentateur ne se permettra de dire à Madame Haenel ou à Madame Mouglalis que « ce n’est pas le sujet ». On ose dire que l’art n’est pas le sujet. Ça on ose ! À longueur de journée ! Ça, on le rabâche. On le martèle. Comme pour nous faire croire que là, en l’occurrence, ce n’est pas le sujet. Et que ce serait le sujet dans une autre discussion, centrée sur l’art. Mais cette autre discussion n’a jamais lieu. Et si elle avait lieu, on y parlerait tout de même de viol. On entend déjà le journaliste cinéma du jour : « Nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’œuvre de Roman Polanski sans rappeler qu’il est accusé de ceci et de cela par tel nombre de femmes, etc., etc. »

Sauver l’art

Ces gens de chez MeToo prétendent souvent ne pas vouloir faire interdire les œuvres des artistes accusés de violences sexistes ou sexuelles. Eux ne regarderont plus les films de Polanski ou de Depardieu, mais ils assurent ne pas vouloir en priver les autres. Pour le moment, oui. Taqiya ! Stratégie de dissimulation ! Patience… ! De toute façon, ils savent bien que leurs méthodes d’intimidation créent déjà de la censure. Ils savent que ça marche. Qui va recevoir dans son cinéma ou dans son festival un artiste que l’on qualifie de violeurà longueur d’émissions ? On annule la projection d’un film dans tel festival, on annule des concerts de Depardieu dans telle ou telle ville. C’est comme ça que ça se passe. Ce n’est pas une censure totale, mais des sabotages ici et là qui, additionnés, font masse et en entraînent d’autres. Ces militants ont en tête qu’ils doivent marquer « viol » au fer rouge sur le front des accusés. Lorsqu’on tape Polanski sur internet, ce sont les mots« agression sexuelle »« viol »« violences sexuelles » qui tapissent les pages Google. Pour Richard Berry c’est « inceste ».  Pour Benoît Jacquot c’est « emprise » et « viol ». « Mais qui parle de supprimer leurs œuvres ? » m’a-t-on plusieurs fois demandé sur les plateaux TV. Ils ne le disent pas… mais évidemment qu’ils en crèvent d’envie. Pour l’instant, certains d’entre eux disent vouloir« contextualiser » les œuvres pour que l’on sache bien si les participants d’un film sont tout à fait blanc-bleu. Dans leur monde rêvé, il y aurait donc sur les jaquettes des DVD des films de Polanski un bandeau « Ce film a été réalisé par un violeur » avec, au dos, la liste des crimes dont on l’accuse, comme on trouve écrit sur une barquette de cuisses de poulet « Élevé en plein air et sans traitement antibiotiques ». Son film, c’est du poulet ? Pas plus ? Eh bien je crois que nous y sommes, oui. L’art, c’est du poulet. L’art, c’est une chose comme une autre. Il doit y avoir une traçabilité du produit. Il ne faut plus que dans un article de presse, dans une revue de cinéma ou sur une affiche de film le nom d’un accusé se trouve à plus de cinq centimètres du mot viol. D’ailleurs, dans notre tribune « N’effacez pas Gérard Depardieu », publiée en décembre dernier dans Le Figaro, quelles sont les phrases qui ont le plus gêné ? « Lorsqu’on attaque Gérard Depardieu, c’est l’art qu’on attaque »« Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs » e« par son génie d’acteur, Gérard Depardieu participe au rayonnement artistique de notre pays ». Voilà des phrases impardonnables méritant le fameux « C’est pas le sujet ! ». Elles étaient pourtant nécessaires. Quand on ne parle de Depardieu que comme d’un porc et d’un violeur (au mépris de la présomption d’innocence en ce qui concerne le viol), que 56 artistes signent un texte rappelant que cet homme est un artiste majeur, était à mon avis salutaire. C’était un devoir de le faire. Chacun sa mission, chacun son combat. Le mien est de sauver les œuvres. De sauver l’art. C’est ce pour quoi j’ai choisi de me battre. Je voue un culte au grand art et je sais combien il sauve, combien il est nécessaire. Ça aussi, on pourrait en parler ! De tout le bien que Polanski a fait par ses films. Des masses qu’il a fait rêver, des âmes qu’il a sauvées de leur triste quotidien, du rêve qu’il a offert, de tous ceux qu’il a fait réfléchir, à qui il a ouvert les yeux à travers son regard aiguisé sur les abysses de l’humain. Mais non, l’art ne compte pas. Il ne sert à rien. La beauté non plus. Je me demande quel rapport Adèle Haenel, Caroline De Haas, Marine Turchi et Edwy Plenel entretiennent avec Mozart, Schumann et Strauss. Mon instinct me dit qu’ils sont imperméables à la beauté.En tout cas, ce n’est pas leur sujet ! Sur France Inter, Guillaume Meurice a consacré une chronique à l’hommage de la Cinémathèque à Roman Polanski. Un des quidams à qui il tend le micro pour les ridiculiser lui dit : « En ce moment c’est un peu la mode de parler de harcèlement sexuel et tout ça quoi […] et la Cinémathèque n’invite pas un obsédé sexuel ou quoi que ce soit, elle invite un cinéaste qui est là pour parler de cinéma. Pas de son cul ou de sa bite. » Réponse de Meurice : « Mais parlons cinéma enfin ! Merde ! C’est vrai ça, ça m’énerve. C’est pareil, à chaque fois qu’on parle de Guy Georges dans une émission, on parle que de ses crimes ! Le mec fait une super polenta et on n’en parle absolument jamais. » L’excellente polenta d’un tueur en série n’est effectivement pas un sujet.En revanche, l’œuvre d’un grand réalisateur (même accusé de viol !) est un sujet. Un sujet majeur ! Je refuse de mettre Rosemary’s Baby et la polenta de Guy Georges dans la même gamelle ! Pardon ? Oui, je sais : c’est pas le sujet !

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Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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