Vandromme, dernier styliste «français»


Vandromme, dernier styliste «français»

Marcel Aymé

La critique littéraire, excepté dans quelques revues réactionnaires, est devenue un art mineur. La presse écrite n’ouvre plus ses colonnes qu’aux imitateurs. Nous vivons à l’ère de l’approximation et du « prêt-à-lire ». Tous ces articles calibrés sur le même format manquent de mâche. On les avale d’une traite sans étouffer complètement notre faim de lecteur. Les journalistes bégayent, en toute impunité, une prose boursoufflée, mélange d’arrogance dogmatique et d’imperfections stylistiques. Ne blâmons pas trop nos confrères qui pissent de la copie transparente, ils obéissent aux nouvelles règles du métier. Leur cystite vient remplir la vacuité des médias où la pluralité des opinions est sévèrement sanctionnée.

On leur a appris à penser « objectivement » et à écrire court comme si la matière journalistique se décrétait. Rappelons qu’écrire un article ne répond à aucun protocole scientifiquement approuvé par je ne sais quel Ordre imaginaire. Faire croire le contraire est un vil réflexe corporatiste. La liberté de tourner ses phrases à son bon plaisir n’est pas encore un crime dans ce pays. Le grégarisme de la profession fait pourtant froid dans le dos. Le déclin des journaux puise sa source dans cette course effrénée à la simplification, à l’information condensée, compactée et, au final, sans saveur. Eriger l’objectivité en infranchissable barrière idéologique a eu des conséquences graves sur de nombreuses rubriques, notamment celles consacrées aux livres. Ce nettoyage à sec de la pensée a gommé du paysage presque tous les insoumis. Mais alors, qu’est-ce qu’un grand critique ?

Les plumes qui ne plient pas sous les modes langagières à l’image d’un François Bott se font rares. Il faut se délecter de chacun de ses papiers. En 1998, nous avons perdu le regretté Renaud Matignon qui usait de sa liberté de blâmer avec panache. Car, on ne traite pas l’actualité littéraire comme on rend compte d’un Conseil des ministres. Ce travail ne consiste pas à résumer un livre. C’est à la fois un exercice d’introspection et de sensibilité. Un instable balancier où le journaliste tente d’extraire le noyau dur d’une œuvre tout en se laissant emporter (ou non) par le rythme des mots. Un homme excellait dans cette discipline des plus exigeantes. Cet équilibriste flamboyant s’appelait Pol Vandromme (1927-2009). Il a beaucoup écrit sur les réprouvés (Brasillach, Drieu la Rochelle, Céline, Rebatet, Tintin, Nimier, Aymé, Chardonne, Simenon, Anouilh, Nourissier, Marceau, Le Vigan, Maurras, Perret, etc.). La Droite buissonnière était sa Patrie. Il a été consacré comme l’un des plus grands critiques francophones de son temps. Vous ne risquez pas, en effet, d’oublier sa manière si particulière d’enflammer un article, de miner une phrase jusqu’à l’explosion finale. Feu d’artifice garanti. On reste coi devant ce styliste magistral dont la prose déborde de partout. Les éditions Pierre Guillaume de Roux ont compilé les derniers écrits de ce flibustier des lettres dans un recueil intitulé Une indifférence de rébellion. Ses portraits d’écrivains sont empreints d’une cruelle lucidité. Le moraliste qu’il était tranchait dans le vif, avec une débauche de précision. Il considérait Céline comme « un visionnaire, un poète de la catastrophe, habile à utiliser sa biographie et à l’enfiévrer dans l’épopée picaresque ». Jugement sans appel. Il taquinait Jean d’O pour ses goûts de midinette qualifiant le romanesque de Martin du Gard de « perfection de platitude et d’ennui ». Nothomb n’échappait pas à la curée : « Ne crachez pas sur Nothomb, ayez pitié d’Amélie, occupez-vous d’elle comme s’en préoccupent certains fumistes ». Simenon, « fauve sexuel et arriviste féroce qui fréquenta la paralittérature avec la même frénésie que les mauvais lieux », avait ses faveurs comme Blondin, Fraigneau ou Hergé. Ce recueil contient également des « Évocations », sortes de réminiscences de sa Belgique natale. Certains paysages de la province du Hainaut le poussaient à la mélancolie. « Ma solitude d’hier est aujourd’hui un luxe hors de prix » écrivait-il.

Une indifférence de rébellion de Pol Vandromme – Editions Pierre Guillaume de Roux.

*Photo : Wikipedia.

L'indifférence de rebellion

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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