Ils soutiennent à grands cris les Pussy Riots là-bas, mais réclament bruyamment ici la mise au pas et au ban des jeunes militants de Génération identitaire. Allez comprendre. Il faut croire que chanter dans une église en activité, c’est moins grave que de brailler dans une mosquée en construction.
En tout cas, à défaut de consistance historique ou de poids politiques, ces jeunes gens peuvent se targuer d’une certaine intelligence médiatique. À quelques dizaines, sans la moindre violence et grâce à la complicité gracieuse des journalistes indignés, ils ont suscité un émoi considérable. Certains confrères ont immédiatement ressorti les trémolos des grands jours et brandissent La Droite brune, livre que publie Renaud Dély ces jours-ci. Oui, dans la France de 2012, on peut jouer à se battre contre le nazisme.
« Provocation inacceptable », « agissements violents », « menace pour l’ordre public », les commentaires et glapissements ont été à la mesure du danger supposé. En entendant Mélenchon et Désir réclamer la dissolution du « groupuscule fanatique » comme s’ils parlaient des SA en 1934, en découvrant que cette dissolution serait à l’étude en haut lieu, on imagine en effet que des hordes armées ont déferlé sur nos villes, massacrant, violant et pillant. Et on découvre sur YouTube que des jeunes prétendant lutter contre « l’islamisation de la France » se sont introduits sur le chantier d’une mosquée, sont montés sur la terrasse d’un des bâtiments inachevés et y ont déployé des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « 732. Génération identitaire » ou encore « Immigration, Construction de mosquée: référendum! » Après quelques heures d’occupation et des négociations, ils ont quitté les lieux sans intervention des forces de l’ordre et sans avoir commis de déprédation. Quatre militants ont été mis en examen et soumis à un strict contrôle judiciaire qui leur interdit de rencontrer les autres membres du groupe – donc de participer à la convention qui se tiendra à Orange les 3 et 4 novembre.
En attendant que le tribunal se prononce sur une éventuelle « provocation à la haine raciale », le crime présumé justifie non seulement que les plus hautes autorités de l’Etat aient bruyamment exprimé leur indignation, mais encore que le gouvernement étudie la possibilité de dissoudre Génération identitaire, comme l’a expliqué Manuel Valls à l’Assemblée sans que cette éventualité ait paru inquiéter quiconque, bien au contraire puisque cette mesure est réclamée par le ban et l’arrière-ban de la gauche associative. Toutefois, le Président de la République, seul habilité à prendre une décision aussi grave, semble un peu plus circonspect. « La liberté d’association est aussi un droit à protéger. Il faut donc des éléments tangibles pour conduire à l’interdiction », explique un conseiller dans Libération, tandis qu’un mystérieux spécialiste affirme que « c’est simple sur le plan politique mais compliqué juridiquement ». Ah bon ? Sauf à décréter que la liberté ne doit profiter qu’aux gens professant des opinions préalablement estampillées comme acceptables – et par qui ? –, on peut au contraire trouver que c’est aussi compliqué politiquement. Non pas qu’en matière d’opinion il soit toujours interdit d’interdire. Contrairement à pas mal de mes amis qui prétendent que la liberté d’expression doit être absolue, cela ne me dérangerait pas outre mesure qu’un parti se réclamant ouvertement du nazisme soit déclaré hors-la-loi. En revanche, j’aurais été violement opposée à ce qu’on fasse subir le même sort au Parti antisém… pardon antisioniste de Dieudonné, Soral et consorts[1. Après que Claude Guéant eut envisagé l’interdiction de la « Liste antisioniste » présentée aux élections européennes, j’étais même allée débattre avec Dieudonné.]. Tout est question de limite.
Il faut donc se demander si les occupants de la mosquée de Poitiers les ont franchies, ces limites. Commençons par leurs méthodes. Leur action totalement non-violente évoque furieusement les happenings de feu Ras-l’Front ou encore les occupations menées par le DAL et toutes sortes de groupes ayant compris depuis longtemps que jouer la carte spectaculaire était le meilleur moyen de compenser leur faiblesse numérique. Quelques dizaines de personnes envahissant un lieu public ou transgressant ouvertement la loi peuvent en effet attirer autant de caméras que des dizaines de milliers battant le pavé. Quand il s’agit des membres d’Act Up s’étendant sur le parvis de Notre Dame de Paris pour protester contre le refus de l’Eglise de recommander le préservatif ou de militants écolos se livrant à l’arrachage de plants de maïs transgéniques, les réfractaires et leurs infractions bénéficient de la sympathie générale – et souvent d’une relative clémence de la justice. Dans certains cas, l’illégalité est tolérée voire encouragée, y compris quand elle prend la forme d’une occupation d’un lieu public ou privé.
À l’évidence, ce ne sont donc pas les méthodes de Génération Identitaire qui ont affolé le braillomètre[2. Que Cyril Bennasar soit remercié pour avoir inventé cet instrument mesurant l’indignation de gauche.], mais les idées que ces méthodes entendent servir. Avant de les examiner brièvement, rappelons qu’il ne s’agit pas de dire si ces idées sont ou non sympathiques mais de savoir si elles dépassent les bornes du débat démocratique. Pour commencer, GI observe la progression de l’islam en France et s’en désole. À en croire le sondage publié cette semaine par Le Figaro, pas mal de Français partagent cette inquiétude, mais pour nos directeurs de conscience médiatiques, cela sera sans doute une raison supplémentaire de tenir ce peuple en suspicion. Pour beaucoup, il est déjà scandaleux d’observer que l’islam change la société, alors envisager que ce changement soit autre chose que merveilleux, c’est carrément insupportable. Je ne vois pas comment on peut en même temps ânonner le catéchisme de la diversité et prétendre que cette diversité ne change rien à la France, mais je n’aime pas le terme « islamisation » qui laisse penser qu’il y a une volonté délibérée de conquête idéologique, laquelle n’existe que dans les franges marginales et radicales. Par ailleurs, il est essentiel d’établir une distinction claire entre la critique de l’islam et la détestation des musulmans – et c’est notamment sur ce point que le juge devra apprécier les propos tenus par les jeunes identitaires. Il devra aussi dire s’il est légal de demander un référendum pour remettre en cause un droit constitutionnel, en l’occurrence la construction de lieux de culte: l’organisation d’une consultation sur l’immigration elle-même me semble à la fois problématique et inutile – tant il est clair qu’une majorité de Français, toutes sensibilités et toutes origine confondues, comprend instinctivement que la poursuite de l’immigration est le premier frein à l’intégration des immigrés. Pour autant, ceux qui exigent ce référendum en ont parfaitement le droit. En revanche, si on peut discuter de la hauteur des minarets et réclamer l’application scrupuleuse de la loi de 1905 quant au financement, chacun, dans la République laïque, doit pouvoir pratiquer son culte dans les édifices appropriés. En clair, si GI sort de la légalité, c’est sans doute en réclamant que la construction de mosquée soit l’objet d’une consultation. On admettra que cette infraction, même si elle est avérée, n’est pas un crime.
En réalité, au lieu de prononcer des oukazes moraux et d’exiger des condamnations pénales qui ne peuvent que renforcer l’influence de ceux que l’on prétend combattre, il serait plus pertinent de les contester politiquement et historiquement (mais la pertinence, il y a des maisons pour ça). Le premier reproche que l’on devrait adresser aux identitaires, c’est d’avoir de la bouillie historique dans la tête. Toute personne ayant dépassé l’école primaire devrait en effet savoir que Charles-Martel-qui-a-arrêté-les-Sarrasins-à-Poitiers relève autant de la mythologie que nos ancêtres gaulois. Alors certes, les mythologies ont leur importance, mais en l’occurrence, ces jeunes gens semblent prendre cette affaire au premier degré. Il faudrait leur expliquer. Dans la foulée, on leur dira tout le mal qu’on pense de leur slogan : « L’identité, elle est à nous ! On s’est battus pour la reprendre, on se battra pour la reprendre ! ». Ah bon, petit con, tu t’es battu où, contre qui ? Jouer à la résistance, ce n’est pas plus malin quand on est identitaire de droite que quand on est antiraciste de gauche. De plus, ces filles et garçons qui invoquent la France à tout bout de champ ignorent visiblement que sa grandeur, précisément, est que son identité n’appartient pas à un « nous » fermé, mais à tous ceux qui acceptent en partage sa culture et son histoire.
Que certain des propos tenus par les militants identitaires soient passibles d’une condamnation pénale, c’est possible. Exiger qu’ils soient interdits de parole, c’est autre chose. Pourtant, ces pulsions épuratrices se cachent de moins en moins, au contraire, elles font office de brevet de bonne conduite : ici on dénonce le journaliste réac, là on réclame la mise à mort symbolique de tel écrivain suspect, ailleurs on exige la dissolution du Bloc identitaire. Chacun n’a que le mot liberté à la bouche, mais on dirait que le champ des opinions qu’on a le droit de défendre se rétrécit chaque jour. Un démocrate conséquent devrait au contraire être attaché à ce que puissent être dites des choses qui le choquent, voire qui le révoltent. Mais dans notre belle démocratie, on ne veut plus discuter, on veut effacer. Alors vous, je ne sais pas, mais moi je commence à avoir la trouille. Parce que dans le monde que nous préparent les amoureux de la tolérance, il n’y aura pas de place pour la moindre divergence.
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