Accueil Culture Amphét’, whisky et dents gâtées : Les Pogues, une ivresse poétique à partager

Amphét’, whisky et dents gâtées : Les Pogues, une ivresse poétique à partager

Le chanteur des Pogues, Shane MacGowan, vient de mourir. Il avait 65 ans


Amphét’, whisky et dents gâtées : Les Pogues, une ivresse poétique à partager
Shane MacGowan (1957-2023), chanteur irlandais du groupe The Pogues, célèbre dans les années 1980. Ici photographié à Londres en 1999 © Michael Walter/AP/SIPA

Le chanteur des Pogues, Shane MacGowan, vient de mourir. Il avait 65 ans.


« RIP Shane, tu m’as donné quelques-uns des plus beaux moments de ma jeunesse, et tu continues. Le concert à L’Electric Ballroom avec Joe (Strummer, du groupe The Clash NDLA), me donne encore des frissons. Dieu te bénisse. » Ce commentaire trouvé sous la vidéo d’un concert de The Pogues, sur YouTube, ne peut que toucher ceux qui ont aimé le chanteur du groupe, Shane MacGowan, qui nous a quittés jeudi 30 novembre, à l’âge de 65 ans. Parlons-en justement des concerts des Pogues, de véritables épopées, chaotiques et joyeuses, desquelles nous ressortions justement trempés de sueur aux relents de bière, les pieds en sang, mais heureux. Trêve de souvenirs. Revenons à celui que tout le monde s’accorde à qualifier, à raison, de poète.

Une incarnation de l’Irlande née en Angleterre

Cette figure tutélaire irlandaise est née en Angleterre, dans le Kent. Ce summum de campagne anglaise sage et verdoyante, bien loin de l’imagerie de la lande irlandaise, ne colle pas au personnage. Shane MacGowan vécut cependant six ans de sa vie en Irlande, à Nenagh, dans le comté de Tippererary (Michel, si tu nous lis…). Là se construit sa part celtique, car, comme toutes les personnalités exceptionnelles, MacGowan était un homme complexe, pas simplement le punk-barde alcoolique d’origine irlandaise, à la dentition ravagée par les amphétamines, qui a marqué nos esprits.

Son enfance irlandaise, il nous en parle dans le très beau documentaire de Julian Temple, Crock of Gold, déjà rediffusé sur Arte. Il y apparaît usé, en fauteuil roulant, mais la verve est intacte lorsqu’il raconte le petit garçon timide, doué à l’école, qui fut élevé par sa mère et ses tantes, d’excentriques irlandaises au verbe haut. Lui, rêve de devenir prêtre. On sent son besoin d’absolu, qui se verra très vite comblé par… l’alcool.

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Il raconte sa première cuite, à quatorze ans – au whisky évidemment – et le bien-être que celle-ci lui a procuré, presqu’une épiphanie. Il se vantait de « ne pas avoir été sobre depuis l’âge de quatorze ans ». Sa femme, la journaliste Victoria Mary Clark, ne se souvient pas, sauf à la fin, l’avoir connu sobre non plus.  Le whisky était son sang, son sang était le whisky. Il y aurait presque là un aspect christique.

Shane MacGowan, c’est aussi cet Irlandais londonien d’adoption qui, comme tous ceux de sa génération, furent fascinés par les Sex Pistols. Après un concert de ces derniers, Shane se rebaptise un temps : Shane O’Hooligan, comme pour faire disparaître le petit garçon timide de Tippererary qui se rêvait prêtre.

Dandy dadais

Le critique rock anglais Nick Kent, dans son indispensable recueil d’articles : L’envers du  Rock (The  Dark Stuff), écrit à son sujet : « Il fait preuve d’un attachement très romantique à son héritage celtique, mais ses manières, son attitude sont celles du zonard punk londonien typique. Disons qu’il y a chez lui un délicat mélange d’aristocrate et de crétin, de dandy et de dadais. Il n’a pas son pareil pour faire rimer académique et bordélique. » Kent a tout compris. Cependant, ce « crétin » avait le don inné de la poésie, et a écrit la plus belle chanson qui soit sur l’exil des Irlandais lors de la grande famine de 1850 : Thousand are sailing : « Thousand are sailing/Across the western ocean/To a land of opportunity/That some of them will never see » (Ils voguent par milliers à travers l’Océan Atlantique, vers une terre d’opportunités, que beaucoup d’entre eux ne verrons jamais). D’une diaspora l’autre, les Irlandais sont les nègres de l’Europe, dit-on, la musique leur est consubstantielle. Elle est leur véritable patrie.

Et comme les Irlandais – dont Freud aurait dit qu’ils étaient imperméables à la psychanalyse – sont tous reliés entre eux, par la magie de la musique, de l’alcool et de la poésie, les Pogues, sur la pochette intérieure de leur chef-d’œuvre,  If I Should Fall from Grace with God, posent tous en James Joyce : « ce mec qui nous ressemblait plus ou moins, soixante ans en arrière » déclare MacGowan. Académique et bordélique. 

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est enseignante.

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