Dimanche, c’est le jour de la poésie. Découvrons celle de Louis Brauquier, un bourlingueur contemporain de Paul Morand qui a inspiré Bernard Lavilliers.
Je pourrais commencer cette carte postale en paraphrasant Antoine Blondin. Louis Brauquier (1900-1976) aurait pu écrire : « Un jour nous prendrons des bateaux qui partent ». Sauf que Brauquier a franchi le Rubicon. Toute sa vie durant, il a sauté dans des paquebots aux cheminées noires et rouges, direction Sydney, Nouméa, Alexandrie, Djibouti, Shanghaï, Saïgon, ou encore Diégo-Suarez. Né à Marseille, neveu d’un commissaire des Messageries Maritimes, il était destiné à la bourlingue. Mais pas celle de Cendrars, plutôt celle de Morand, avec le boy qui vous porte la valise. Il devint, à son tour, agent des Messageries Maritimes. Un poste rêvé pour devenir écrivain et noircir des carnets de poésie. Brauquier est un nom oublié. Sauf de quelques-uns, dont je suis. Bernard Lavilliers est un inconditionnel de ses poèmes. Le chanteur est un intercesseur de luxe. Quand il mentionne le nom du marseillais, il sort ses écrits de l’ombre. Il suffit ensuite d’acheter le livre édité par La Table Ronde, dans la collection La Petite Vermillon (aux éditions de La Table Ronde), Je connais des îles lointaines, et vous aurez alors entre les mains toute la poésie de Louis Brauquier. Un petit trésor.
C’est une poésie dégraissée, « déshuilée », à l’inverse des eaux portuaires, sans pathos ni nostalgie accablante. Le vers est précis, il saisit le cœur, nous transporte. Il y a du soleil dans ses rimes, et une lenteur suave rythme ses strophes. On ouvre une page, au hasard, la magie opère, le trottoir devient jetée, l’autobus se transforme en cargo rouillé prêt à partir pour Valparaiso, ou ailleurs, l’essentiel étant de quitter la sentine où l’on croupit. L’atmosphère est moins sombre que dans un roman de Simenon ; le tournis, jamais, ne nous gagne, comme avec la prose électrique de Morand. Brauquier oblitère les fuseaux horaires en douceur. Il n’aime pas bousculer le lecteur, son frère.
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Olivier Frébourg, dans sa longue préface, résume la vie de Louis Brauquier. Elle fut assez tranquille. Il se maria, voyagea beaucoup, se méfia du milieu littéraire, eut quelques amis célèbres, notamment Saint-John Perse à qui il dédia son dernier recueil, Feux d’épave (Gallimard 1970), et Jules Roy qui lui rendit hommage dans son Voyage en Chine. Après avoir pris sa retraite en 1960, ce veuf qui ne détestait pas la solitude, finit sa vie à Saint-Mitre-les-Remparts, dans sa maison provençale, face à l’étang de Berre, classant ses photographies et achevant de peindre quelques tableaux. Il reçut le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1971. On lui connaît surtout un drame dans son existence : la mort de son filleul, tué par les Britanniques, sur le Bretagne, à Mers El-Kébir. Quelle sale guerre, décidément. Peut-être connut-il d’autres chagrins. On ne le saura jamais, tant l’homme était discret. Mais il nous reste sa poésie, son trésor préservé. Olivier Frébourg écrit : « […] la guerre a accru son scepticisme. Il n’a plus aucune illusion. Il a été expulsé du paradis terrestre. Le voyage est sa morale. Il restera un guetteur sur sa terrasse surplombant l’agitation du monde. À chaque aube, Brauquier renaît et une carte maritime continue à l’émouvoir ».
Il mourut quelques semaines après Paul Morand, le 7 septembre 1976. Un été caniculaire et meurtrier pour les écrivains-voyageurs devenus sédentaires.
Un extrait, parmi tant d’autres, de sa poésie :
Mais plus chaud que l’amour, plus pur que l’amitié
Dépassant la mesure humaine qui te borne,
Forme d’un désespoir qui te fait espérer,
N’es-tu pas cet enfant pétri de solitude
Qui porte son tourment et son rêve à la mer ?
Louis Brauquier, Je connais des îles lointaines, Poésies complètes, préface d’Olivier Frébourg, collection « La Petite Vermillon », La Table Ronde.
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