Trois poètes d’aujourd’hui


Trois poètes d’aujourd’hui
Jean-Claude Pirotte en 1997 (Photo : SIPA.00317672_000003)
Jean-Claude Pirotte en 1997 (Photo : SIPA.00317672_000003)

Alors que va se clore la semaine du 34ème Marché de la poésie, place Saint-Sulpice, nous vous proposons un choix de trois poètes d’aujourd’hui, loin de l’hermétisme universitaire, qui pourraient bien réussir à réconcilier le grand public avec un genre littéraire trop souvent jugé élitiste. Faut-il rappeler qu’il y eut une époque, finalement pas si lointaine, où les poètes pouvaient aussi voir leurs recueils se transformer en best-seller comme le Hugo des Contemplations qui épuisa en 1856 son premier tirage dans la journée. Pour retrouver cet âge d’or, qui semble avoir disparu avec Prévert, il suffirait de parvenir à convaincre qu’il existe une poésie immédiatement lisible, accessible et qui peut même faire rire, à l’occasion.

>>> A tout seigneur tout honneur, commençons par Jean-Claude Pirotte, mort en 2014 et dont nous avions déjà dit ici tout le bien qu’il fallait penser. Ce qu’il y a de bien avec les poètes, c’est qu’ils écrivent encore après leur mort. Plein emploi (Ed. Castor Astral) doit ainsi être le troisième ou quatrième titre posthume de Pirotte. Mais l’étrange vie du bonhomme pourrait nous inciter à croire que sa mort est une autre forme de la cavale qu’il mena toute son existence ou presque.

Cet ancien avocat belge avait été en effet accusé d’avoir favorisé l’évasion d’un client au mitan des années 70. Peu désireux de passer du temps derrière les barreaux, il prit la poudre d’escampette et ne la rendit jamais, même quand les poursuites contre lui tombèrent. Il devint ainsi un spécialiste des petites villes déprimantes et belles où il vivait de rien dans des soupentes, noircissant des pages et des pages entre la cigarette qui a fini par avoir sa peau et le verre de vin qui colorait ses rêves de Lotharingie.  Dans Plein emploi, écrit entre 2010 et 2011, de la mer du Nord au Jura et du Jura à la mer du Nord, on retrouve Pirotte tel qu’en lui-même l’éternité le change : errant, buveur, paysagiste, hanté par l’enfance et par une mort prochaine qu’il pressent. Virtuose de la rime qu’il estime injustement négligée, il ne répugne pas aux formes anciennes comme le sonnet mais sait aussi jouer de l’assonance :

oh ce sera bien encombré
mais tu reconnaîtras les tiens
leurs beaux visages quotidiens
leurs voix dans l’éternel été

Pirotte, c’est aussi, encore et toujours, un passeur, c’est à dire un poète qui aime les poètes, chose assez rare pour être signalée :

Odilon-Jean Périer près de Léon-Paul Fargue
et Xavier Forneret aux côtés de Thomas
Tardieu voisin de Reverdy Morhange
Avec Venaille évidemment Perros
à l’ombre de Follain comme d’un chêne.

Le paradoxe, c’est que ce sans-domicile fixe qui aimait les caves et les bibliothèques, a toujours su les emporter avec lui par un étrange tour de magie dont on n’a toujours pas trouvé le secret et qu’il ne fut surtout pas trouver, histoire que l’enchantement demeure.

>>> Pour qui connaît le nom de Jean-Pierre Andrevon, né en 1937, celui-ci évoque plutôt les grandes heures de la science fiction française des années 70 que celles de la poésie. Il faut croire que les mauvais genres ou prétendus tels mènent à tout puisque Obstinément des femmes des chats et des oiseaux (Ed. Le Pédalo Ivre) est un recueil tout à fait réussi. Andrevon, écologiste de la première heure, libertaire radical pour qui la littérature d’anticipation avait été un moyen de dire un monde qui courait à sa perte et dont nombre des intuitions se sont révélées d’une justesse étonnante avec le temps, est tout entier dans ce recueil où l’érotisme, la politique, l’amour d’une nature menacée se conjuguent dans des poèmes aux vers courts qui font des staccatos rageurs ou ironiques, un peu à la manière de ces tireurs isolés qui mènent un combat désespéré dans une ville déjà submergée par l’ennemi. Le ciment de toutes ces obsessions ? Le rêve, bien entendu, ce vieux carburant surréaliste qui est aussi une énergie renouvelable à l’infini :

Ce rêve
aux frontières déchirées
ce rêve
aux grands sursauts de truite
ce rêve
qui vient se coller à mes draps
ce rêve au tendre
ma source ma sève
surtout ne me réveillez pas.

>>> Frédérick Houdaer, qui est par ailleurs l’éditeur d’Andrevon, a la quarantaine. Dans Pardon my french (Ed. Les carnets du dessert de Lune), il pratique une forme de poésie à l’estomac qui peut rappeler Bukowski dans ce refus de sacraliser un genre, car toute sacralisation finit en momification :

ce n’est pas que je veuille énerver
le petit milieu de la poésie
pour prendre des personnes à rebrousse-poil
encore faut-il qu’elles aient des poils
mais mon ambition
celle que j’ai décidé de gueuler sur les toits
les fait hurler à leur tour
publier un recueil de poèmes chaque semestre
chaque trimestre
chaque mois
pisser des textes
des poèmes
avec la même fréquence
qu’un mangaka pisse des planches de bd
quel mauvais goût
personne ne me le pardonnera

Est-ce à dire qu’Houdaer ne prend pas la poésie au sérieux, lui qui parle dans ses textes de SMS, de TER, de Youporn ? Ce serait tirer un peu hâtivement une conclusion fausse. La plus belle chose qui puisse arriver à la poésie est de retrouver la vie des hommes, leur quotidien et de pouvoir à nouveau exercer sa fonction essentiellement critique, politique en invitant à relire le réel sans pour autant le décorer avec des rideaux à fleurs. D’ailleurs, un homme qui ne croirait pas en la force subversive de la poésie écrirait-il un tel poème, intitulé Ezra Pound.

mon livre n’a pas fait sonner les portiques de sécurité
avant que je n’embarque dans l’avion
il aurait dû

Plein emploi de Jean-Claude Pirotte, Ed. Le Castor Astral.
Obstinément des femmes des chats et des oiseaux de Jean-Pierre Andrevon, Ed. Le Pédalo Ivre.
Pardon my french de Frédérick Houdaer, Ed. Les carnets du dessert de lune.

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