Le poème du dimanche
Lire la poésie de Guillevic (1907-1997), c’est faire l’épreuve de la matière, mais de la matière vivante. Breton né à Carnac, exilé dans son enfance, il n’aura de cesse de retrouver sa terre natale dont il saisira dans des poèmes les minéraux, vibrants ou lumineux, les grands mouvements telluriques du granit, du ciel et de la mer.
Sa poésie recherche l’adéquation parfaite entre le mot et la chose. Il se méfie de la métaphore parce qu’une pomme reste une pomme, telle qu’en elle-même l’éternité la change. La poésie, chez lui, est un art de la définition plus que de la comparaison. Même quand il pense à une utopie possible, il en trace les contours précis comme dans le poème que nous vous proposons aujourd’hui.
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Pour mieux le connaître, on pourra lire Vivre en poésie ou l’épopée du réel (Le temps des cerises) où il donne une des plus belles définitions de la poésie que je connaisse : « La poésie est ce qui permet de tenir. Je crois que, pour une part importante, le suicide témoigne de la perte en soi-même de la poésie. »
DOUCEUR
Douceur,
Je dis : douceur.
Je dis: douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t’accueillent
Qui te donnent du temps.
Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.
Je dis: douceur,
Pensant aussi
A des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
A des cieux, à de l’eau dans les journées d’été,
A des poignées de main.
Je dis: douceur, pensant aux heures d’amitié,
A des moments qui disent
Le temps de la douceur venant pour de bon,
Cet air tout neuf,
Qui pour durer s’installera.
Guillevic, Terre à bonheur (1952)