Une époque en enfer. Aux Etats-Unis, un poème publié dans une revue spécialisée s’est attiré les foudres des défenseurs de la liberté de ne pas choquer.
Au cœur de l’été, le poème d’un illustre inconnu publié dans la revue littéraire américaine The Nation a suscité une polémique inattendue. Intitulé « How-To », ce texte signé par un certain Anders Carlson-Wee prend la forme de conseils donnés par un sans-abri à un autre pour susciter la commisération des passants. « Si tu es une fille, dis que tu es enceinte – personne ne va se baisser pour écouter ton ventre. […] Tords tes jambes, pointe ton genou dans un angle bizarre. […] Si tu es estropié, ne l’affiche pas. Laisse-les croire qu’ils sont assez bons chrétiens pour le remarquer tous seuls. » Rien de nouveau à l’ombre de la mouise : de la cour des Miracles aux métros de nos villes, les mendiants ont toujours mis en scène leur dépouillement pour apitoyer le passant.
« Blackface » et « capacitisme »
Vous ne voyez pas où est le problème ? L’air de rien, Carlson-Wee a commis deux péchés irrémissibles qui déchaînent les foudres des réseaux sociaux. D’abord, en utilisant le terme d’ « estropié » (« crippled »), l’auteur se rend coupable de « capacitisme », ou « ableism » en anglais, néologisme qui désigne la discrimination contre les handicapés. Circonstance aggravante, le poème est écrit en « black english », parler noir américain à la syntaxe déstructurée.
Fatalement, le malheureux Carlson-Wee a été accusé de racisme, ses détracteurs assimilant son œuvre à ce qui est désormais un crime de première importance, le « blackface », c’est-à-dire le fait pour un Blanc de se peindre la peau afin de ressembler à un Noir. À cette campagne calomnieuse, les éditeurs de la revue ont réagi par un mea culpa en rase campagne : « Nous sommes désolés du mal que nous avons pu causer aux nombreuses communautés affectées par ce poème. »
« Je suis désolé »
Non moins repentant, le poète incriminé a tweeté : « J’écoute attentivement et je réfléchis intimement. Je suis désolé du mal que j’ai fait, et j’en prends la responsabilité » et s’est engagé à verser ses droits d’auteur à l’association de charité Downtown Congregations to End Homelessness. Pour susciter la générosité d’autrui, mieux vaut donc faire peur que pitié…