« Voilà pourquoi, malgré qu’on en ait, la poésie a beaucoup plus d’importance qu’aucun autre art, qu’aucune autre science. Voilà pourquoi la poésie n’a rien à voir avec ce qu’on trouve actuellement dans les collections poétiques. Elle est ce qui ne se donne pas pour poésie. Elle est dans les brouillons acharnés de quelques maniaques de la nouvelle étreinte. » En définissant ainsi la poésie, Francis Ponge la faisait sortir de toute définition restrictive et lui assignait son rôle paradoxal de clandestine lumineuse. On trouvera Francis Ponge dans le volume Mon beau navire/Ô ma mémoire qui rassemble un siècle de poésie française publiée par les éditions Gallimard pour fêter leur centenaire.[access capability= »lire_inedits »]
Gallimard, même pour l’amateur de littérature, est spontanément associé aux plus grands romans du siècle passé et notamment aux deux balises majeures Proust et Céline. Pourtant, la NRF, dès sa création sut donner une place éminente à la poésie au point que cette anthologie en présentant cent poèmes de cent poètes correspondant chacun à une année pourrait très bien aussi servir de manuel d’histoire littéraire. Quelques uns des noms les plus connus, de ceux qui ont enchanté notre cœur, sont évidemment au rendez-vous : Péguy avec Le Porche du mystère de la deuxième vertu, Apollinaire avec Le Voyageur, Breton avec L’union libre, un des poèmes les plus formidablement sensuels qui ait jamais été écrit sur la femme aimée ou encore René Char le thaumaturge et Saint-John Perse, le chantre des anabases géopolitiques.
Mais Mon beau navire/Ô ma mémoire vaut aussi pour nombre d’oublis réparés et aussi la mise en lumière de poètes contemporains trop peu lus.
Au chapitre des oubliés, souhaitons au lecteur de se laisser bercer, par exemple, par la mélancolie voyageuse de Louis Brauquier (1900-1976) : « Ces navires rayés du contrôle des flottes,/Ils voyagent toujours dans notre souvenir », d’affronter l’angoisse si contemporaine de Pierre Morhange (1901-1972) : « Je hais chaque jour/Je veux dormir/ J’aime seulement le sommeil. » ou de connaître l’envoutement de l’érotisme et du fantastique propre à André Pieyre de Mandiargues : « Elle sait bien que la salive d’un ver/Gaine jusqu’en haut ses cuisses nues. »
Et puis, découvrez pour finir les poètes d’aujourd’hui, ceux dont les recueils même vêtus de la prestigieuse couverture blanche au liseré rouge, s’écoulent seulement à quelques centaines d’exemplaires, dans le meilleur des cas : Philippe Delaveau, Paul de Roux, Hédi Kaddour, Guy Goffette ou Gérard Macé. Ils sont des compagnons indispensables et vous surprendront en démentant une des idées reçues les plus fréquentes sur la poésie de notre temps : elle serait réservée à une élite et s’enfermerait dans un hermétisme expérimental toujours plus grand. Rien n’est plus faux et pourquoi ne pas laisser pour vous en convaincre la parole au lumineux Xavier Bordes :
« Je parle avec la voix d’un dieu quotidien/
que nous reconstruisons ensemble. »[/access]
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