Pablo Iglesias veut gagner. Il l’a toujours dit ! Et il est curieux que certains, aujourd’hui, s’en étonnent. Ou plutôt qu’ils s’étonnent que le secrétaire général d’un parti finalement comme les autres – n’en déplaise à Alain Badiou et à quelques autres philosophes français éloignés des réalités espagnoles… – décide d’évincer son numéro 3, Sergio Pascual, cherchant ainsi à maintenir son contrôle absolu sur l’appareil et son organe principal. En l’occurrence, un Conseil de coordination de dix membres dont les statuts de Podemos disent explicitement qu’il est bien là pour seconder le secrétaire général dans son action[1. On pourra se référer au schéma organisationnel publié dans mon livre, Podemos. Pour une autre Europe (Cerf, 2015), p. 231.].
Certes, des divergences tactiques existent aussi bel et bien entre Pablo Iglesias et son numéro deux, Íñigo Errejón. Ce dernier, face aux fluctuations programmatiques d’un parti qui souhaite autant rompre avec les politiques d’austérité que « donner des garanties » – selon les propres mots d’Iglesias – pour coller à un européisme finalement mal assumé, ferait actuellement plutôt le choix de la sécurité en acceptant de ne pas s’opposer à l’investiture d’un gouvernement PSOE-Ciudadanos minoritaire au Congrès des députés. Une manière de s’assurer une belle carrière dans les allées du pouvoir. Pour preuve, il a très rapidement rompu avec les codes vestimentaires de l’irruption plébéienne au Parlement pour revêtir une très chic veste à l’occasion de la tenue de la seconde séance de la nouvelle assemblée.
Mais la brouille entre le numéro 1 et le numéro 2 du parti pourraient rapidement passée par pertes et profits. Si Sergio Pascual, secrétaire à l’organisation du parti et responsable des relations entre l’appareil madrilène et les cercles territoriaux du mouvement, a été remercié, c’est aussi et justement pour faire oublier les réflexes un peu autoritaires régulièrement venus de Madrid… Comme par exemple les parachutages de certains candidats. Son remplacement par Pablo Echenique, traditionnel défenseur des autonomies régionales à Podemos, devrait rapidement être vu comme une volonté de conciliation plutôt que comme le motif à un nouveau divorce au sommet ou entre le sommet et la base[2. Voir mon ouvrage Podemos. Pour une autre Europe (Cerf, 2015) et son chapitre : « L’unité populaire avant l’union de la gauche ».]
Pablo Iglesias déclarait, il y a déjà longtemps, qu’il ne se contenterait pas de faire 20 % – chiffre que son parti a dépassé aux législatives, mais en restant derrière le PSOE –, mais qu’il voulait être le premier. Or, il est peut-être tout simplement en train de tenter de se donner les moyens d’arriver à ses fins. Le chemin le plus simple pour y parvenir est de ne pas donner son aval à un gouvernement PSOE-Ciudadanos et de provoquer de nouvelles élections législatives : bien des commentateurs s’accordent sur ce fait. Dès lors, doit-on s’étonner que l’homme à la queue de cheval soit aussi ambitieux et résolu qu’hier un Nicolas Sarkozy ou que naguère un François Mitterrand mettant sur la touche Michel Rocard et quelques autres ?
Les ferments de la division au sein de Podemos, que représentent également la surenchère nationaliste en Catalogne ou les revendications d’une culture de l’horizontalité héritée du mouvement des Indignés, existent bien[3. Le quotidien Libération s’est fait l’écho le plus fidèle de ces tensions.]. Cependant, ces divisions ne sauraient hypothéquer l’avenir d’un mouvement qui carbure au vote de rejet : celui des deux grands partis, PP et PSOE.
Podemos s’est d’ores-et-déjà imposé à la gauche de l’échiquier politique espagnol. Lucide, Iglesias ne rechigne d’ailleurs plus à utiliser le terme qui le replace dans une dichotomie à laquelle il a toujours voulu échapper. Il croit occuper une position de force qui lui permettra de peser un jour davantage dans la vie politique nationale, avant peut-être de jouer un rôle majeur en Europe…
D’où l’intérêt qu’il y a, aussi, à lire attentivement la lettre envoyée aux militants pour justifier le limogeage du numéro trois du parti. On peut y trouver bien autre chose que l’expression d’un stalinisme trop logiquement engendré par le « léninisme aimable » professé en son temps par Juan Carlos Monedero qui, lui aussi, quitta le parti avec pertes et fracas et sous les cris de victoire de la presse conservatrice. Le quotidien ABC avait tiré, en mai 2015 : « Podemos explose ». On n’aurait pu être plus à côté de la plaque…
Dans sa lettre aux militants, Pablo Iglesias n’hésite pas à enfoncer le clou : « Je suis fier aujourd’hui, comme secrétaire général de Podemos, de démontrer que nous n’oublions pas ni ne trahissons les gens et les mouvements populaires que la souffrance de notre patrie a politisés »[4. Tiré de la lettre ouverte aux militants titrée Defender la belleza, publiée le 15 mars 2016]. Un beau programme d’unité populaire, justement ! Car le potentiel politique d’un vote de rejet de la classe politique traditionnelle est encore immense. Pablo Iglesias, le meilleur analyste politique de son pays, le sait parfaitement.
Une réunion des leaders sociaux-démocrates européens, la semaine dernière, a été l’occasion pour le socialiste Pablo Sánchez de demander à Alexis Tsipras, au cours d’une aparté, de l’aider à convaincre Pablo Iglesias de ne pas s’opposer à son investiture comme chef du gouvernement espagnol. Les caméras de télévision ont rapporté cette scène en Espagne. Une campagne médiatique d’ampleur semble bel et bien être mise en œuvre, outre-Pyrénées, pour faire pression sur le principal dirigeant de Podemos. Dans le décryptage de la vie politique de nos voisins abstenons-nous donc de trop regarder les grands médias espagnols et gardons-nous ainsi de toute naïveté car, comme le rappelait Jacques Chirac il y a quelques années, l’attaque la plus basse finit toujours par faire « pschitt » !
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