« Le terme crée le réel », m’écrit une jeune romancière, ulcérée par l’emploi du verbe « gérer » (la mère de famille qui « gère » les enfants, le mari, la vie professionnelle, etc.). Ma consœur a trouvé là une formulation essentielle. Oui, le terme crée le réel, en ce sens qu’il nous le fait apparaître sous un certain angle, un certain éclairage : on ne voit plus ce qu’on voit, mais ce que le mot choisi veut nous faire voir.
J’en veux pour preuve l’actuel débat sur le mariage homosexuel, ou plus précisément l’emploi du mot « débat » lui-même. Où voit-on un quelconque débat, à partir du moment où une partie des débatteurs (ceux qui sont pour) représentent le progrès et le sens de l’Histoire, tandis que leurs adversaires sont d’emblée soupçonnés d’homophobie, de fascisme rampant, de cléricalisme inquisitorial ? Qu’importe, après cela, qu’aucun des opposants déclarés n’ait émis la moindre condamnation de l’homosexualité en tant que telle. Homophobes, vous dis-je ! Les qualificatifs de « rampant » ou de « larvé », le « dérapage » et les « relents » ne tardent pas à suivre. (On m’objectera les imbéciles qui écrivent des imbécillités sur Twitter. Mais quand on fournit en masse aux imbéciles le moyen technique de répandre leurs imbécillités, et que les responsables politiques donnent l’exemple, il ne faut pas s’étonner du résultat.)
L’autre terme qui crée le réel, c’est « mariage pour tous ». (C’est encore un ami romancier qui me l’a fait observer. Décidément, les romanciers sont utiles.) Le mariage homo n’est pas le mariage pour tous : c’est le mariage pour une catégorie bien particulière, et d’ailleurs minoritaire. Cela n’enlève rien à ses droits légitimes (et à son droit à revendiquer), mais appeler cela « droit au mariage pour tous » relève d’un abus intellectuel.[access capability= »lire_inedits »] Qui, en effet, serait contre un droit pour tous ? Le droit pour tous de manger à sa faim, d’être soigné, de dormir au chaud, etc. ? L’art et la manière d’emporter l’avantage en noyant le poisson, en se portant sur le terrain de l’incritiquable (en l’occurrence la générosité, le sens élémentaire de la justice).
Il arrive cependant que le réel prenne sa revanche sur le terme, et c’est ce que l’on voit dans la question de la PMA. Les acronymes ont cette particularité qu’à force de les employer, on ne prête plus attention à ce qu’il y a dedans. Or, dans PMA, il y a un M. Et ce M veut dire : médicalement. Est médical ce qui vise à résoudre un problème de santé ou de handicap physique. Ce qui n’est évidemment pas, en tant que tel, le cas des femmes homosexuelles qui souhaitent y accéder, et je ne leur ferai pas l’injure de considérer qu’elles sont malades : ce serait, pour le coup, de la belle et bonne homophobie.
Dernière remarque : j’ai lu je ne sais où que le mariage homosexuel était « culturellement de gauche ». Curieux exemple d’essentialisation. Je voudrais qu’on réexamine tout ce qui, disons depuis la Révolution française, a pu être appelé « la gauche » ou qualifié comme « de gauche » (et qui a changé, d’ailleurs, selon les périodes). Qu’on me définisse à partir de là ce qu’est une « culture » de gauche. Et cela fait, qu’on m’explique en quoi le mariage homosexuel en serait de toute éternité un élément évident ou naturel.
Il est permis, j’espère, de faire quelques remarques terminologiques sans apparaître aussitôt suspect de toutes sortes de choses rampantes et autres « relents » (voir plus haut). Au reste, toutes ces histoires m’assomment, et je retourne à l’étude de la poésie arabe pré-islamique, dans laquelle je me suis engagé ces temps-ci. La poésie comptait beaucoup pour les tribus du désert arabique. Il y avait des concours annuels, on affichait publiquement les œuvres couronnées. Le poète s’appelait chahir. Son rôle ne se bornait pas à composer des chants : c’était à lui que l’on s’adressait quand on n’était pas d’accord sur le sens des mots.
Et c’était important, car le terme crée le réel.[/access]
*Photo : K_rho.
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