Libération a toujours eu le mot pour rire. C’est même à ça qu’on reconnaît ce journal, dont les titres à base de détournements et autres jeux de mots constituent la marque de fabrique. Pour son numéro du vendredi 6 juin, on aurait pu s’attendre à quelque chose comme « Hollande ne manque pas D-Day », ou encore « Welcome to Omaha, bitch ! » Mais non. Le quotidien régional du Marais (pas celui de Ségo, l’autre) a trouvé beaucoup mieux. Plus frais, plus accrocheur.
À la « une », un gros titre : « Procréation médicalement assistée POUR TOUS ! » Et en-dessous : « Le manifeste des 343 fraudeuses. » La référence est reconnaissable au premier coup d’œil. Oui, c’est bien la même qui avait valu à votre magazine préféré un procès en moralité digne de l’Inquisition à l’occasion de son numéro spécial « Touche pas à ma pute ! », sous-titré « Le manifeste des 343 salauds ». Cette fois, de façon incompréhensible, personne ne moufte. À croire que 343 signatures sont, au choix, féminines ou sacrilèges. Mais passons. À l’origine, « Le manifeste des 343 salopes » avait réuni autant de femmes qui avouaient avoir avorté. Il s’agissait d’aide médicale à la non-procréation. Désormais, il est question d’aide médicale à la procréation. Exactement l’inverse, quoi.
Décidément, les temps changent. Mais le détournement du titre est double, puisqu’il reprend aussi l’incontournable expression « pour tous », accolée à tout et n’importe quoi depuis qu’on a décrété que le mariage était un droit, et l’enfant itou. En attendant la « maternelle pour tous » ouverte aux retraités, ou « l’hôpital pour tous » ouvert aux valides, nous voilà donc en présence d’une revendication de « PMA pour tous ». Toutes ? Non, tous. Hommes et femmes compris, puisque le masculin l’emporte.
« Il y a en France un principe fort ridicule et qui est vivement enraciné, c’est que l’égalité consiste à ce que chacun puisse prétendre à tout. », écrivait Joseph Fiévée (1767-1839), dans ses Correspondances et relations avec Bonaparte. Homosexuel assumé à une époque où tout n’était pas si facile, sa femme était morte en couches en lui laissant un enfant. Il a élevé son rejeton et vécu auprès de son compagnon jusqu’à sa mort, et partage aujourd’hui avec lui une tombe au Père-Lachaise. Jamais, sans doute, cet homme libre qui fut journaliste, écrivain, haut-fonctionnaire et agent secret n’aurait cru si bien dire.
La PMA « pour tous » était à l’origine un « pilier » de la loi sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, selon son rapporteur à l’Assemblée Erwann Binet. Mais face au mouvement de contestation le plus important depuis 45 ans, le gouvernement l’a finalement rangée dans un tiroir. Il n’en fallait pas plus pour que la gazette des bourgeois-bohème du 4ème arrondissement de Paris reprenne les armes. Les lesbiennes fertiles sont des malades comme les autres ! Elles ont « droit » à une aide médicale puisqu’elles ne peuvent pas procréer entre elles. Vite, un manifeste !
Problème : dans l’argumentaire déroulé sous le titre de Libé, la logique élémentaire en prend un méchant coup. Premier point : « Nous réclamons l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, sans discrimination. » Ça tombe bien, il n’y a jamais eu de discrimination selon l’orientation sexuelle pour bénéficier de la PMA, pas plus que pour se marier. Deuxième point : « Nous réclamons que la loi ouvrant l’adoption aux couples de même sexe soit appliquée partout en France. » Bonne nouvelle, c’est le cas : conformément à la décision du Conseil Constitutionnel, les tribunaux jugent au cas par cas de l’intérêt de l’enfant.
C’est après que ça se complique. Troisième point : « Nous réclamons l’égalité entre couples homosexuels et hétérosexuels pour l’établissement de la filiation de leurs enfants. » Pas évident, vu qu’aucun couple hétérosexuel fertile et en bonne santé n’aura jamais besoin de la PMA, contrairement à un couple de lesbiennes, même en pleine forme. Quatrième et dernier point : « Nous réclamons que tous les enfants de France puissent bénéficier des mêmes droits et que cessent immédiatement les discriminations dont sont victimes les enfants élevés dans les familles homoparentales. » Sur ce sujet, patience, les tribunaux recueilleront d’ici quelques années les centaines de demandes d’accès à leurs origines réelles d’enfants réputés « nés de » (sic) deux mères. Et nul doute qu’on se rappellera alors la seule chose qui soit vraiment le cas « pour tous » : chaque être humain naît d’un père et d’une mère.
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