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PMA: la nouvelle origine du monde

Malaise terrible dans la filiation


PMA: la nouvelle origine du monde
Le député et rapporteur de la loi bioéthique Jean Louis Touraine, le mercredi 25 septembre 2019, à l'Assemblée © Louise MERESSE/SIPA

Loi de bioéthique: on parle beaucoup de l’amendement Jean-Louis Touraine prévoyant la retranscription de la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger voté en catimini à l’Assemblée nationale. Françoise Bonardel revient ce matin sur  l’accès aux origines des enfants nés de PMA. Un sujet particulièrement épineux sur lequel les débats actuels gagneraient à se porter.



Encore un projet politique présenté comme une « avancée » décisive qui ne soulèverait qui plus est aucun problème éthique : l’enfant né grâce à la PMA aura dorénavant le droit de savoir qui est son père biologique, si ce dernier consent à ce qu’on lève son anonymat. On est donc spontanément prêt à admettre qu’il s’agit bien là d’un progrès puisque c’est l’intérêt de l’enfant qui est pris en compte, et l’on se féliciterait même de voir les politiques, en général peu soucieux de préserver les héritages, faire montre d’une telle sollicitude à l’endroit des enfants privés de père pour assouvir le désir de procréation de leur mère.
L’existence d’associations de jeunes adultes en quête de leur origine prouve bien qu’on ne liquide pas la question de la filiation comme on se débarrasse d’un fardeau encombrant. Mais qu’est-ce qu’un « droit » dans une société où la procréation est devenue l’objet d’une commercialisation planifiée, bientôt remboursée par l’Assurance maladie alors que la décision de se faire inséminer est un choix de vie qui n’a pas davantage de fondement juridique que de se faire refaire le ventre ou les seins, et n’est une maladie qu’au regard des techniques médicales convoquées pour la concrétiser ? 

La charrue avant les boeufs

Parallèlement, que des hommes qui ne sont pas tous des philanthropes arrondissent leurs fins de mois en éjaculant dans un bocal aseptisé, ne choque apparemment personne. Chacun fait après tout de son corps ce qu’il veut. Que ces donneurs anonymes puissent ainsi devenir les « pères » d’une kyrielle d’enfants – plus de 150 se vantait l’un d’eux ! – devrait même faire pâlir de jalousie les polygames et autres généreux bénévoles toujours prêts à dégainer lorsqu’une femme leur demande ce service, et plus encore si elle ne leur demande rien. Comment se fait-il alors que le « droit » de l’enfant, fraîchement sorti du chapeau des magiciens de la vie familiale, provoque un sentiment si mitigé ?  Si « droit » il y a bien, n’aurait-on pas pu y penser plus tôt en dispensant des enfants de voir le jour dans des conditions qui les conduiront à se regrouper en associations ?

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Si l’évocation du droit sacro-saint de l’enfant crée un malaise, c’est qu’on comprend vite que son application sera à double tranchant car le reconnaître, une fois la PMA généralisée, c’est au fond avouer implicitement qu’on a mis la charrue avant les bœufs et qu’il fallait commencer par là : que fait-on exactement, que cautionne-t-on, quels risques prend-on quand on programme la venue au monde d’enfants dont le père biologique ne sera jamais le père réel ? Car ces enfants qui vont un jour se demander d’où ils viennent, il va bien falloir leur dire qu’ils ont un « père », et qu’ils pourront peut-être le connaître si ce dernier y consent. Parce qu’il peut tout aussi bien dire non – c’est son droit, à lui aussi – et ne jamais leur répondre ou les envoyer promener comme des intrus qui n’ont aucune place dans sa vie. Le don de sperme n’implique aucune autre déontologie que de ne pas transmettre sciemment une maladie. Ce « père » pourra donc leur faire savoir qu’il n’en a rien à faire, de leur quête identitaire, et qu’après tout c’était à la mère d’y penser avant de se faire inséminer. À une première inégalité entre enfants selon qu’ils jouissent ou non de la présence réelle de leur père, va s’en ajouter une seconde selon que le père biologique les aura acceptés ou rejetés. La vie de ces familles virtuelles a décidément de beaux jours devant elle !

Fabrique d’orphelins

Ce « père » donc, qui n’en est pas vraiment un et n’aspire sans doute pas à le devenir, risque d’être une sorte de fantôme finalement plus perturbant qu’un père définitivement inconnu dont des substituts amicaux ou familiaux parviennent dans les meilleurs des cas à compenser l’absence. Parce qu’elle va dire quoi, la mère, à son enfant en quête d’identité ? Que le gentil monsieur qui a donné sa petite graine n’a pas poussé la gentillesse jusqu’à faire acte de présence réellement paternelle ? Ou que celui qui a accepté après-coup de se faire connaître  se mord aujourd’hui les doigts d’avoir levé son anonymat ? Imaginez la vie d’un homme soudain sollicité par les centaines d’enfants qu’il aura contribué à mettre au monde ! Que cela puisse parfois bien se passer est un miracle qu’on ne saurait mettre au crédit d’aucune décision politique. C’est tout simplement que le « génie de la vie » se sera saisi d’une situation d’un bout à l’autre artificielle pour recréer un semblant de chaleur humaine, comme au temps où on se rencontrait, s’aimait et procréait ; l’homme anonyme devenant alors un ami, et pourquoi pas un vrai père pour l’enfant qu’il n’aura ni désiré ni délibérément conçu. Les contes de fée, ça existe, mais des cas comme ça, on en comptera combien ? Des couples d’hommes et de femmes homosexuel(le)s ont d’ailleurs la sagesse d’organiser en toute légalité un type d’arrangement à l’amiable qui permet à l’enfant de grandir  entre ses deux parents, et c’est tant mieux pour lui.

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Résumons : la PMA pour couples hétérosexuels en difficulté, ce n’était déjà pas une partie de plaisir paraît-il. La PMA pour toutes les femmes qui en feront la demande est une « avancée » risquée dont on n’a pas encore à l’évidence mesuré toute la portée, mais à laquelle l’anonymat du donneur prêtait au moins une certaine cohérence même si elle contrevenait au désir légitime de l’enfant. Réduit au rôle de donneur, l’homme qui n’avait de toute manière pas de place dans un couple de femmes homosexuelles, ou n’en avait pas trouvé dans la vie d’une célibataire endurcie, restait au rang modeste mais décisif que lui octroyaient les techniques médicales. Les esprits portés à la poésie pouvaient même voir en lui une sorte d’Ouranos, de fécondateur universel qui n’aura quant à lui rien à craindre du coup de cisaille donné par un fils désireux de prendre sa place. Pas de castration en vue ni de conflit œdipien pour ces géniteurs anonymes ! Ce qui n’interdit pas de s’interroger sur le profil psychologique de ces hommes qui s’accommodent d’une forme de virilité aussi contrôlée. Mais la PMA universelle, doublée d’une possible levée de l’anonymat du donneur, c’est au fond en revenir, sans avoir le courage de le dire, à un schéma classique amputé de tout engagement affectif puisque le « père » n’aura jamais aucune obligation affective ni juridique. Et l’enfant, comment va-t-il vivre le fait de devoir partager avec un nombre incalculable de demi-frères et sœurs une parenté aussi prolifique ? Pourra-t-il jamais percevoir son « père » autrement que sous les traits d’un étalon ? 

Désastre anthropologique?

Le donneur pouvant dorénavant se faire s’il le souhaite connaître, il n’y a plus aucune raison pour que les femmes ne fassent pas valoir d’ici quelque temps qu’elles ont le droit de choisir celui qui leur convient le mieux. C’est déjà le cas dans certains pays où le donneur est sélectionné sur catalogue, ses traits distinctifs devenant l’objet d’un examen minutieux : pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ? Une sorte de bordel biologique sous couverture médicale, en quelque sorte, mais le plaisir sexuel en moins. Car le plaisir éprouvé, dont le souvenir rejaillit sur la venue de l’enfant, que devient-il dans tout ça ? La frigidité est plutôt de mise au vu des manipulations cliniques nécessaires à la réalisation technique du désir d’enfant. Deux univers sont donc là, face à face plus que côte-à-côte ; deux imaginaires aussi qui ne se rencontreront jamais qu’en apparence dans la venue réelle de l’enfant qui risque de rester à jamais amputé de la dimension symbolique de son existence qu’aucune technique médicale n’est capable de remplacer.

Il reste une question, et non des moindres : comment se fait-il que ressurgisse ainsi, dans un contexte social et politique qui ne s’y prête guère,  l’importance psychologique de la filiation biologique ? On croyait pourtant cette vieille histoire abolie, dépassée en tout cas, et l’individu « hors sol » le plus heureux des hommes. Il faut croire que non, mais on ne nous le dira pas, et on ne nous parlera soudain que du « droit » de l’enfant à savoir d’où il vient. Un intérêt quasi scientifique, en somme, parce qu’affectivement c’est rarement comme ça que se construit une identité épanouie. Il faudrait donc s’entendre : ou bien les politiques et leurs acolytes scientifiques se sont trompés dans leurs évaluations ou nous ont menti en matière de filiation, et la revendication des enfants en quête de père biologique rejoint alors  celle des enfants-écologistes rappelant aux adultes quelques-uns de leurs devoirs : vous saviez et vous n’avez rien dit, rien fait. Ou bien c’est toute une société qui est en train de prendre ses rêves les plus insensés pour une réalité, qu’elle est bel et bien en passe de réaliser puisque la venue au monde des êtres humains pourra désormais relever de la fabrication plus que de la procréation, fût-elle assistée. Et si on arrêtait tout ça avant qu’il soit trop tard, et qu’un désastre anthropologique accompagne le dérèglement climatique ?



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est philosophe et essayiste, professeur émérite de philosophie des religions à la Sorbonne. Dernier ouvrage paru : "Jung et la gnose", Editions Pierre-Guillamue de Roux, 2017.

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